La France se dote d’un mécanisme de restitution des biens mal acquis
La France compte mettre en place à partir de 2022 un mécanisme inédit de restitution des biens dits mal acquis. C’est ce qu’a annoncé l’ambassade de France en Tunisie dans un communiqué publié ce soir vendredi 29 octobre 2021.
Est-ce un hasard du calendrier ? L’annonce coïncide avec le retour sur le devant de la scène politique de ce délicat dossier tant en Libye qu’en Tunisie, où les pouvoirs respectifs de ces deux pays voisins tentent de prendre à témoin l’opinion nationale et internationale face à ce qu’ils qualifient d’immobilisme des chancelleries européennes dans ce dossier. Un épineux dossier qui les concerne toujours au premier chef , plus d’une décennie après les révolutions arabes.
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Les biens dits « mal acquis » désignent communément des biens acquis illégalement par des personnalités politiques étrangères ou par leurs proches, à la suite de faits de corruption, de détournements de fonds ou autres infractions économiques initialement commis dans leurs pays d’origine. La diplomatie française l’avait promis dès juillet dernier : la France pourra restituer, au plus près de la population de l’État étranger concerné, les recettes provenant de la cession des « biens mal acquis ».
Ainsi lorsque des biens mal acquis ont été confisqués en France, la loi française permet à l‘État d’origine des fonds de solliciter leur restitution en effectuant une demande d’entraide judiciaire. Cet État peut également exercer une action devant les tribunaux français pour faire établir un droit de propriété ou demander réparation :
- en se constituant partie civile devant les juridictions françaises si l’affaire a donné lieu à une ouverture d’enquête autonome en France (notamment pour blanchiment de corruption),
- ou en engageant une procédure civile distincte.
En l’absence de telles démarches des autorités de l’État étranger concerné, les fonds définitivement confisqués par la justice française sont automatiquement versés au budget de l’État français, conformément à l’article 131-21 al. 10 du code pénal.
Afin de compléter les dispositifs existants, la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a mis en place un mécanisme innovant visant à restituer ces sommes aux populations qui en ont été privées, via des actions de coopération et de développement.
Pour Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, « ce dispositif constitue un moyen très concret pour lutter contre les ravages de la corruption ».
Un mécanisme permettant « une restitution au plus près des populations »
La Convention des Nations unies sur la corruption, dite de Merida, est le seul instrument universel en matière de lutte contre la corruption. Depuis 2003 elle fixe comme principe fondamental la restitution des avoirs issus de la corruption et prévoit diverses mesures en ce sens. Mais ces restitutions restent rares en pratique.
La mobilisation est croissante pour renforcer la coopération internationale et les législations nationales pour la restitution de ces avoirs. « Avec ce mécanisme, la France se dote d’un outil aligné sur les standards internationaux les plus élevés pour faciliter la restitution de biens mal acquis », lit-on sur le site officiel du Quai d’Orsay.
« En coopération avec les États concernés, les fonds restitués devront contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des populations. Les restitutions devront avoir lieu dans le respect des principes de transparence et de redevabilité pour éviter, notamment, que les fonds concernés ne soient utilisés dans des circuits de corruption », poursuit la même source.
La restitution des fonds prendra enfin la forme d’actions de coopération et de développement mais celles-ci ne seront pas comptabilisées au titre de l’aide publique au développement dans les déclarations effectuées par la France à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, au cœur du dispositif de mise en œuvre
Le nouveau mécanisme de restitution, par la France, des biens mal acquis sera mis en œuvre à travers un programme budgétaire créé en Loi de Finances 2022. Il sera administré par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères qui ouvrira les crédits correspondants aux montants confisqués après leur encaissement sur le budget général de l’État. Ces montants seront alors affectés à des actions de coopération et de développement. Plusieurs organisations, parmi lesquelles l’Agence française de développement (AFD), pourront ainsi utiliser ces fonds pour mettre en œuvre des actions de coopération et de développement au plus proche des populations concernées.
Une fois finalisé, le mécanisme s’appliquera à chaque confiscation définitive de « biens mal acquis » selon le schéma suivant :
Les actions financées par ce mécanisme de restitution – y compris, le cas échéant, l’accord signé avec l’État -, seront rendues publiques, afin que, conformément aux dispositions de la loi, la société civile puisse participer au suivi de leur mise en œuvre.
Reste à vérifier ce que donnera en pratique cet ambitieux projet qui tombe à point nommé pour Carthage et Tripoli.