La démission du chef du gouvernement acte la faillite du régime politique

 La démission du chef du gouvernement acte la faillite du régime politique

La triangulation des trois présidences pose davantage de problèmes qu’elle n’en résout dans la jeune démocratie Tunisie

La démission du chef du gouvernement Elyes Fakhfakh hier 15 juillet est un casse-tête pour les constitutionnalistes. C’est ce qu’explique ce matin l’expert Slim Laghmani.

Dans la foulée du coup de tonnerre de la démission du numéro 1 du pouvoir exécutif hier mercredi, nous apprenions l’éviction de la totalité des six ministres d’Ennahdha de leurs fonctions. Se posent alors plusieurs questions : la démission de la tête d’un gouvernement n’entraîne-t-elle pas automatiquement la démission de l’ensemble de l’équipe gouvernementale ? Auquel cas cette révocation sélective serait superflue. Un chef de gouvernement démissionnaire, chargé de la gestion des affaires courantes, est-il en position, en termes de prérogatives, de procéder à de tels limogeages ?

Vérification méticuleusement faite, il s’avère que l’annonce desdits limogeages est intervenue très exactement trois heures après l’annonce de la démission d’Elyes Fakhfakh. Mais le terme clé est ici « annonce ». Car d’après nos sources à la Kasbah, l’éviction des ministres Ennahdha aurai été actée en fin de matinée, dès 10h00, techniquement avant le changement de statut du chef du gouvernement. Ce dernier se considère de toute façon toujours comme chef de gouvernement conservant ses prérogatives pleines, comme l’indique le texte du communiqué de démission, jusqu’à désignation de son successeur.

Peu importe, pourrait-on donc estimer… Sauf que, éthiquement, le très politique limogeage des ministres islamistes, pensé pour être humiliant, n’en reste pas moins problématique du point de vue procédural.

 

Scepticisme des juristes

Ainsi l’éminent constitutionnaliste Slim Laghmani s’interroge de façon rhétorique : « Est-ce qu’un président du gouvernement démissionnaire peut démettre des ministres ? ». Sa réponse est catégorique. « Non. S’il y avait dans la Constitution la notion de gestion des affaires courantes par un président du gouvernement démissionnaire, cela serait valide. Mais ce n’est pas le cas de la Constitution tunisienne. La notion de « gestion des affaires courantes » ne figure que dans l’article 100 de la Constitution, dans le cas d’empêchement définitif du président du Gouvernement, et l’article exclue précisément de ce cas la démission.

Si la réponse est « juridiquement » oui, le chef du gouvernement démissionnaire peut démettre des ministres, cela n’en demeure pas moins « une faute de goût », estime la même source.

Par ailleurs on comprend en examinant sur les textes régissant la IIème République que la démission d’Elyes Fakhfakh est en réalité purement formelle, voire uniquement symbolique. Les pères de l’actuelle Constitution ne se sont en effet penchés que sur les modalités post vacance fortuite du pouvoir, ainsi que sur l’énumération des prérogatives d’un chef du gouvernement encore en fonction.

 

Les limites d’un système de gouvernance

On comprend aussi que, lui-même juriste et fin constitutionnaliste, le président de la République Kais Saïed a sans doute conseillé Elyes Fakhfakh d’opter pour cette subtile manœuvre. Objectif, conserver la main s’agissant de l’initiative qui aurait pu échapper à Carthage dans le cas d’une motion de censure parlementaire. Un projet de motion dont on sait par ailleurs qu’il était d’ores et déjà prêt, signée par 105 députés.

Et le président n’a pas perdu de temps. Aujourd’hui jeudi, en vertu de l’article 98 de la Constitution, Kais Saïed a adressé une correspondance à l’Assemblée en vue de s’enquérir du statut des blocs parlementaires. Ce qui prépare la nomination d’une personnalité à la Kasbah dans un délai de 10 jours.

Si cela évite au pays de longs mois d’élections anticipées, cet énième épisode illustrant l’instabilité du régime politique ouvre inévitablement le débat sur la pertinence d’un système tout entier qui avoue ses limites. 10 années post révolution, dont seulement 6 années post nouvelle Constitution, représentent certes une phase trop courte pour songer à une refonte vers une IIIème République. Or, le naufrage institutionnel que traverse le pays légitimerait en revanche de procéder à d’indispensables amendements constitutionnels.