« La Cour des Miracles », le film qui traite avec justesse des problèmes de l’école dans les quartiers populaires
Carine May et Hakim Zouhani se sont connus adolescents à Aubervilliers. Ils sont tombés très vite amoureux et ne se sont plus quittés. Depuis une vingtaine d’années, ils réalisent des films ensemble. Ce mercredi 28 septembre, sort leur deuxième long métrage « La Cour des Miracles », l’histoire d’une directrice d’école implantée dans un quartier populaire de Seine-Saint-Denis, incarnée par la sublime et talentueuse Rachida Brakni qui lutte contre la ségrégation scolaire en créant une école écolo. Un film qui raconte l’école des quartiers populaires, et c’est rare, dénué de tout misérabilisme et de clichés. Nous sommes allés à la rencontre de ces deux cinéastes atypiques.
LCDL : Vous êtes un couple. Depuis vingt ans, vous écrivez vos films ensemble, vous les réalisez. C’est quoi le secret de cette longue complicité ?
Carine : C’est simple, on s’éclate dans ce qu’on fait ! Et on est conscient de la chance qu’on a de pouvoir faire des films.
Hakim : L’écriture d’un scénario est longue. Elle a un côté jouissif mais il peut avoir aussi beaucoup de moments difficiles. Être à deux permet de partager les souffrances comme les instants de bonheur.
Carine : Avec Hakim, nous sommes complémentaires. Chacun est la béquille de l’autre.
Hakim : Oui, il y a toujours quelqu’un pour remonter le moral de l’autre.
Carine : c’est surtout moi qui te remonte le moral !
Hakim : Carine est une sprinteuse, moi ma vie est un marathon !
Quel est le point de départ de ce film ?
Hakim : Ca fait plusieurs années qu’on pense à faire un film sur l’école. Avec Carine, on a eu plusieurs discussions à ce sujet.
Carine : Il y a eu beaucoup de films sur l’école mais on voulait en faire un avec le regard des professeurs. On voulait être avec les instituteurs d’aujourd’hui. Ils arrivent de toute la France et ça crée des groupes de collègues différents. On savait que les échanges entre les profs allaient être comiques mais pas que, il y a aussi de la profondeur derrière l’humour. L’école dans nos quartiers populaires, c’est souvent un paquebot qui est en train de couler mais qui est maintenu à flot grâce à des enseignants qui ne sont pas épaulés par leur direction.
Hakim : Carine a été enseignante plus d’une dizaine d’années en Seine-Saint-Denis, donc on avait de la matière. Après, on s’est documenté pour être encore plus précis. On s’est beaucoup inspiré de Nadia Hammaoui (NDLR : rôle interprété par Rachida Brakni), directrice dans une école primaire à La Courneuve.
Carine : Nadia est une directrice d’école qui se démène corps et âme pour que ça fonctionne dans son établissement. Nadia est maman de quatre enfants, c’est une boule d’énergie qui ne baisse jamais les bras.
Hakim : Carine a raison, Nadia Hammaoui est une héroïne du quotidien. Et ce film lui rend hommage.
J’ai lu dans un article que vous aviez fait des courbettes pour obtenir les financements du CNC… (NDLR : Centre national du cinéma et de l’image animée)…
Carine : Il aurait déjà fallu qu’on obtienne de l’argent du CNC ! Nous n’avons rien eu !
Hakim : au CNC, on nous a dit « continuez à faire des documentaires », sauf qu’on n’a jamais fait de documentaires, nous avons réalisé que des fictions !
Diriez-vous que « La Cour des Miracles » est un film politique ?
Carine : Oui, bien entendu. Nous dénonçons certains dysfonctionnements de l’institution scolaire qui perdurent depuis tellement d’années qu’on a l’impression qu’ils ne seront jamais réglés. Mais ce n’est pas un film militant. On n’assène pas un discours. On a essayé d’apporter toutes les nuances possibles, indispensables pour s’approcher de la vérité, surtout quand on évoque un sujet aussi sensible que celui de la ségrégation scolaire.
Vous êtes d’Aubervilliers, une ville populaire de Seine-Saint-Denis. Vous êtes issus de milieux modestes. Il n’était pas prévu que vous fassiez du cinéma …
Carine : Effectivement, ce n’était pas prévu. Et ça n’a pas été une mince affaire, surtout quand on a commencé il y a vingt ans. Les opportunités étaient moins grandes à l’époque. En 2022, le cinéma est devenu plus ouvert. Par exemple, tout le monde peut faire un court métrage et il faut rappeler qu’en France, nous avons de la chance : il y a énormément d’aides publiques consacrées au cinéma. Ce qui n’est pas le cas dans beaucoup de pays. C’est plus compliqué pour les « sans réseaux » de réaliser un long métrage et surtout de pouvoir le diffuser dans des salles de cinéma. Il faut trouver une boite de production qui accepte ton projet et quand tu n’es connu de personne, c’est presque mission impossible ! C’est bien connu : on ne prête qu’aux riches.
Hakim : Je dirai aussi qu’il y a eu pour nous un élément déclencheur. Au début des années 2000, on a vu un reportage à la télévision sur notre quartier à Aubervilliers et en se renseignant, on avait compris que le reportage avait été bidonné pour donner une énième image sale de la banlieue. On y voyait des jeunes en cagoule qui faisaient l’apologie des armes etc. On était tous les deux remontés.
Carine : Et puis, on va le dire franchement : on ne se retrouvait pas dans les films qui parlaient des quartiers populaires. C’était toujours les « autres » qui parlaient à notre place.
Hakim : Je ne voyais pas mes parents, je ne voyais pas mes amis dans tous ces films. Alors on a décidé avec Carine de proposer un autre point de vue en faisant à notre tour des films. On a commencé à écrire des courts métrages. Puis est sorti en 2011 « Rue des Cités », notre premier long métrage (NDLR : sélectionné à Cannes). Aujourd’hui, on essaie de filmer les gens sans misérabilisme et sans angélisme non plus. Mettre de la nuance dans des situations complexes. Surtout ne pas être dans la caricature comme c’est trop souvent le cas.
Carine : On a eu aussi beaucoup de chance d’être dans une ville comme Aubervilliers. On a été biberonné par l’éducation populaire, et les maisons de quartier aidaient beaucoup la jeunesse des banlieues périphériques. Notre maire était communiste, il s’appelait Jack Ralite. Il disait souvent : « la culture est un droit et un bonheur ».
Tous vos films sont tournés à Aubervilliers …
Carine : C’est vrai ! Faudrait quand même qu’on coupe le cordon avec Aubervilliers ! T’en penses quoi Hakim ?
Hakim : On aime cette ville. Nos parents, nos amis y vivent toujours. C’est chez nous et ça la restera toujours. C’est une ville courageuse, solidaire, elle sait être bienveillante avec les autres, avec, c’est vrai, parfois quelques problèmes liés à la réalité sociale, comme c’est le cas dans beaucoup de communes populaires, mais elle est loin des images habituelles véhiculées par certains médias. Le cordon avec Aubervilliers, on risque de le couper un jour puisqu’on a pour projet de faire un film qui se déroule dans un quartier rural de France…
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