Kytao : L’esthétique en clair/obscur
Il fut l’un des premiers mannequins d’origine maghrébine à défiler pour les grandes marques et dans les magazines. Retiré des podiums, celui qui a choisi le pseudo de Kytao, fait rejaillir le beau dans ses photos et films au sein de sa structure French Cut.
Près de la bibliothèque François Mitterrand, ça s’agite pas mal au sein de French Cut. Cette structure qui accompagne des talents de la mode, musicaux ou artistiques, regorge de pépites en devenir. Fondateur de la structure, Kytao jette un oeil à son appareil photo avant un shooting. « La lumière n’est pas au bon endroit » clame t’il avant d’ajuster ce qui pourrait apparaitre comme un détail pour beaucoup.
Son regard prenant est toujours à l’affut. D’une stature imposante et d’une voix amicale, Kytao est reconnu pour la perfection de ses portraits au millimètre. Dans une vie pas si lointaine, c’était lui qui était dans la lumière. Durant plusieurs années, il fut le premier mannequin d’origine maghrébine sur les podiums et dans les magazines de mode. Toutefois, ne cherchez pas de photos de lui ! Dorénavant, c’est dans l’ombre que l’esthète met en valeur les autres.
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Un manga publié au Japon
Franco-marocain, Kytao nait en avril 1981 à Casablanca. Il suit alors son père sportif et s’installe à Stalingrad dans le 19ème arrondissement de Paris. Après un passage par le sud de la France, il commence à l’âge de 16 ans la danse hip hop au sein du Vagabond Crew. « J’avais un ami, un grand frère Mohamed Belarbi qui m’a mis dedans. J’ai suivi le mouvement. Je ne suis pas particulièrement à fond dans la danse mais je me retrouve au sein du groupe des meilleurs danseurs de l’époque. »
Après un bac économique et social, il démarre des études de psychologie, « pour faire bien« . En parallèle de ses études, le jeune homme ne tient pas en place. Ayant déjà la verve et le goût de l’image, il se lance dans l’écriture de scénarios et même d’un manga en 1999. « J’aime l’univers, l’histoire médiévale et les codes japonais, indique l’artiste. Plus jeune, nous étions attirés par les dessins animés du Club Dorothée (Cobra, les Chevaliers du Zodiaque, etc.). J’ai inventé le mien. Par l’intermédiaire d’un ami dessinateur, je l’ai fait publier, en toute humilité, par une maison d’édition japonaise sous le nom de Kytao. Le personnage est né à ce moment-là. C’est devenu ensuite mon pseudo quand j’ai commencé la photo et la réalisation. »
Défilé et grandes marques
Avec ce livre publié, il voit alors les choses différemment et se sent pousser des ailes. Il peut alors compter sur son talent et sa débrouillardise pour aller de l’avant. « Je ne me voyais pas forcément continuer dans le manga. Ce que j’aimais, c’était observer le comportement humain et raconter des histoires. Peu importe la forme d’expression, je voulais laisser libre cours à mon imagination. »
Autodidacte, il apprend l’image, l’écriture de scénarios et la réalisation. Alors qu’il est danseur, il participe à des spectacles et quelques clips. Des photographes de plateau lui proposent des photos pour un magazine. Par l’entremise de Sofia Boutella, il commence sa carrière de mannequin. Egérie Yamamoto pendant deux ans, on peut le voir chez Benetton, Marithé&François Girbaud, Dior, Vogue, GQ, etc… « Je sais que ce n’est pas moi. Sans le faire à contre-coeur, je gagne de l’argent. Mais ce n’est qu’une étape pour moi. J’y ai appris l’esthétisme, le stylisme, l’utilisation du corps, de la lumière,… C’était pour moi un jalon pour la suite. »
Son look plaît. On peut le voir sur les bus et métros d’autant qu’il est le premier maghrébin à être mis en avant dans cet univers peu coloré à l’époque. »Je suis le seul mannequin à faire un peu métis. J’avais une coupe un peu afro. Depuis, j’ai décidé de couper avec cette image. Mon envie de porter un masque vient du fait que je privilégie le travail à la personne. J’ai toujours été quelqu’un de discret. »
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French Cut, une pépinière de talents
Son bout de chemin dans la mode lui a fait rencontrer des grands noms de la photographie. « J’observais que plus ils étaient côtés, plus ça avait l’air facile. Ils avaient non seulement la maîtrise technique mais aussi une vision. C’était la voie qui m’intéressait. Je fais partie d’une génération qui est passé de la DV à la 4K, de l’argentique au numérique. C’est plus simple aujourd’hui et plus accessible. »
A partir d’un collectif artistique, il fonde une agence de talent et de communication, de production musicale et de développement d’images. French Cut est né. » J’ai senti très vite que l’image serait au coeur de notre société. Même si j’étais solitaire dans mon aventure de mannequinat, on ne peut pas faire du bon travail seul. Sinon, on fait des natures mortes ! Il n’y a pas de règles pour comprendre l’esthétisme. Certaines oeuvres traversent le temps et à force de cultiver son oeil, on prend acte de la puissance artistique. Le beau n’est que de l’émotion ! »
Passionné de sports de combat (grappling, boxe thaï,..), il apprend la rigueur, la persévérance et le dépassement de soi. Avec une volonté sans cesse de se renouveler, il se met à l’ombre petit à petit et s’oriente vers la réalisation de clips musicaux et de courts métrages en 2001. Attiré par les concepts vidéo, Kytao devient une référence dans le métier avec des grands noms du hip hop (L’Artiste, Diams, Lil Wayne, Mohombi, etc..). Après 20 ans de carrière, il vient d’atteindre son 300ème clip !
Cat Hassan Koné (crédit photo : Kytao / French Cut)
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Un livre et une exposition sur le Cosplay en préparation
Très attaché à son pays d’origine, Kytao retourne souvent à Casablanca. « C’est l’une des villes où je me sens le mieux dans le monde. Je suis moi-même dans la ville comme dans ses bidonvilles. Elle a une âme comme Istanbul, Tokyo ou Los Angeles. J’aime le coté nocturne et les villes qui vivent la nuit. Le coté un peu sombre m’interpelle. Le clair/obscur cache d’infinies possibilités. » Toujours en quête de nouveaux projets pour le Royaume, une structure French Cut devrait ouvrir prochainement à Marrakech pour accueillir des nouvelles opportunités.
Toujours en quête d’un nouveau défi, il se concentre sur son sujet du moment : les gens passionnés par le cosplay. Une activité incroyable qui consiste à se déguiser en super-héros. « J’ai découvert cet univers au Japon où je vais régulièrement. Je voulais comprendre quels types de personnes allaient faire la démarche d’intégrer cet univers de manga et de super héros. C’est énormément pratiqué en France. Ils fabriquent leurs propres costumes, les personnalisent et vont jusqu’à incarner le personnage dans du « rôle play ». Il n’y a pas de catégorie particulière derrière cette passion. Ils prennent du plaisir à le faire et à s’exprimer ainsi. En conclusion, ils s’évadent du quotidien. »
Perfectionniste, 80% de son travail part aux oubliettes. Son envie : que ce soit marquant, percutant ou subtil. « Je suis en perpétuelle construction. Je ne cherche pas à m’exprimer ou à avoir du succès. Ma référence est interne. Le chemin est tellement long si je veux arriver à mon objectif. Mon besoin est de faire du beau intemporel ! »