Khadija privée de procès : pour le procureur, l’État n’a commis aucune faute

Me Pauline Rongier, avocate au barreau de Paris, aux côtés de Khadija, partie civile dans une affaire de violences conjugales, devant le tribunal judiciaire de Paris, le 9 avril 2025 Photo: Nadir Dendoune
Ce mercredi 9 avril, le tribunal judiciaire de Paris examinait une affaire hors du commun : celle de Khadija (voir nos éditions précédentes), victime de violences conjugales, qui assigne l’État pour faute lourde. En cause : sa non-convocation à un procès d’assises où elle devait comparaître en tant que partie civile. En 2020, son ex-compagnon Khalid B. a été condamné à huit ans de prison pour violences aggravées, mais acquitté pour les faits de viol — un verdict rendu en l’absence de la principale plaignante.
Tout commence en 2017, lorsque Khadija porte plainte contre Khalid B. pour violences physiques, viols et séquestration. Déjà condamné en 2016 pour avoir tenté de la défigurer, il récidive peu après sa sortie de prison. L’instruction se déroule normalement : Khadija répond à toutes les convocations, participe à une confrontation avec son agresseur.
Un premier procès est prévu en mars 2020. La convocation lui est bien transmise via le cabinet de son ancienne avocate. Mais la pandémie de Covid entraîne un report à septembre. C’est alors que tout dérape : la nouvelle convocation est envoyée à une ancienne adresse, quittée par Khadija trois ans plus tôt (NDLR : en 2017). L’huissier note l’impossibilité de remettre le courrier.
« Le parquet de Limoges ne réagit pas. Aucune nouvelle convocation n’est envoyée », déplore Me Pauline Rongier, l’avocate de Khadija. Selon elle, dans de telles situations, l’audience aurait dû être immédiatement renvoyée. « Le premier devoir d’une présidente de cour d’assises, c’est de s’assurer que toutes les parties ont bien été convoquées », rappelle l’avocate.
Pourtant, le procès se tient malgré l’absence de la partie civile, pourtant présente durant toute l’instruction. « Le numéro de téléphone de Khadija figurait dans le dossier, tout comme les coordonnées de son ancienne avocate. Rien n’a été vérifié », s’indigne Me Rongier.
« Elle n’a jamais lâché la procédure », martèle Me Rongier. « Comment croire qu’elle aurait sciemment décidé de ne pas venir à son propre procès ? » Khadija n’a jamais été informée du report de l’audience. C’est en lisant un article de presse qu’elle découvre, stupéfaite, que le procès est en cours.
Elle appelle immédiatement le tribunal, mais il est trop tard. L’audience ne peut pas être suspendue. Elle ne sera ni entendue ni représentée, alors qu’elle est l’unique témoin des faits.
En septembre 2020, le verdict tombe : Khalid B. est condamné pour violences mais acquitté pour les viols. Khadija ne peut pas faire appel : la loi française ne permet pas à une partie civile de contester la décision pénale. En mars 2021, une audience exceptionnelle est organisée devant la cour d’assises de Limoges. En vain : toutes les demandes de réexamen sont rejetées. Pourtant, en juin 2021, la Cour de cassation reconnaît que « les démarches nécessaires pour convoquer la victime n’ont pas été accomplies ».
Devant le tribunal judiciaire de Paris, Me Rongier réclame 200 000 euros de dommages et intérêts, dénonçant une série de manquements : convocation irrégulière, absence de réaction à l’alerte de l’huissier, refus de reporter l’audience, violation du droit de la victime à être présente et à se défendre.
« Khadija n’a pas pu faire entendre sa voix, ni interroger son agresseur. Son absence a pesé lourd sur le verdict », explique l’avocate, soulignant que sa cliente est aujourd’hui en grande détresse : « Elle pleure tout le temps en pensant à ce qu’elle a vécu. Elle a peur. Son ex la harcèle encore. »
Mais le procureur, lui, balaye les arguments en moins de trois minutes : « Des recherches ont été faites pour la convoquer. Le procès devait se tenir. Il n’y a pas de faute lourde de l’État. »
L’avocate de l’État confirme : selon elle, Khadija n’avait pas communiqué d’adresse à jour. Me Pauline Rongier rappelle que ce choix était motivé par une « peur de représailles ». « La victime n’avait pas d’avocat donc juridiquement, l’adresse, la dernière connue, où a été envoyé la convocation est la bonne », rappelle l’avocate de l’État. Cette dernière reproche aussi à Khadija de ne pas avoir engagé de procédure civile contre Khalid B.
« Ce procès, c’est d’abord celui de l’accusé. Comment justifier un nouveau report pour une affaire aussi grave, après trois ans et demi de détention ? », poursuit-elle, avant de mettre en doute le montant des indemnisations : « Elle n’a jamais rien réclamé à son agresseur. Elle est victime de Khalid B., pas de l’État. »
Depuis la libération de Khalid B. en février 2024 et malgré son expulsion vers le Maroc, Khadija vit dans la peur. Connue désormais sous le pseudonyme « Khadija la Combattante » sur les réseaux sociaux, elle a porté plainte à cinq reprises pour harcèlement. Sa porte a même été forcée. « Il trouve toujours le moyen de me localiser », confie-t-elle. « Je veux juste vivre en paix, sans me cacher. »
Dernière à s’exprimer à la barre, Khadija retient difficilement ses larmes : « On m’a volé mon procès. J’avais foi en la justice. Aidez-moi à me reconstruire. », implore-t-elle.
Le jugement a été mis en délibéré. La décision sera rendue le 21 mai prochain. Pour Me Rongier, les enjeux dépassent le cas de sa cliente : « Reconnaître la responsabilité de l’État, c’est rappeler que les victimes ne doivent jamais être réduites au silence dans nos prétoires. »