Karim Ben Cheikh (NUPES) : « Il faut changer de méthode sur les visas »
Visas, protection santé, rapatriement… Nous avons interviewé le diplomate en disponibilité et candidat NUPES au second tour des législatives de la 9ème circonscription des Français de l’Etranger sur les actions à mener et son programme pour la communauté française installée au Maghreb et en Afrique. (Retrouvez également l’interview de la candidate Ensemble, Madame Elisabeth Moreno ici)
La France a réduit drastiquement le nombre de visas pour les pays du Maghreb pour mettre la pression sur leurs gouvernements. Est-ce la bonne méthode pour entretenir des liens fraternels avec ses pays ?
Karim Ben Cheikh : Je suis clair sur le sujet des visas: la première mesure que je proposerai sera l’annulation de cette décision injuste qui consiste à punir collectivement une population du Maghreb en réduisant drastiquement les visas. Cela est perçu, et avec raison, par certains, comme une insulte aux populations. Il faut changer de méthode sur les visas. Comme je l’ai fait en tant que diplomate, je privilégierai toujours la négociation au bras de fer. Les résultats sont, en général, plus durables.
La Covid a bouleversé la protection santé des Français de l’Etranger. De plus, en Côte d’Ivoire par exemple, près de 20% des Français n’ont pas de couverture santé. Que proposez vous pour eux, surtout en cas de nouveau confinement ?
Karim Ben Cheikh : La question de l’assurance maladie se pose très durement dans la 9ème circonscription. Depuis six mois que je suis sur le terrain, ce sujet revient à chaque rencontre, et dans les 22 villes que j’ai visitées. J’ai des propositions précises sur la Caisse des Français de l’Etranger (CFE), pas seulement de bonnes intentions. Cette protection sociale devait passer par un outil formidable, la CFE, pensée au départ pour reprendre les grands principes de la sécurité sociale française au bénéfice des Français établis hors de France. Le bilan des cinq dernières années est catastrophique. La dernière réforme de la CFE a bouleversé les barèmes de cotisation, défavorisant nos compatriotes les plus âgés. Il nous faut remettre en place une CFE qui établit ses barèmes de cotisation en fonction des revenus et non en fonction du risque. S’agissant des plus vulnérables, la CFE s’était engagée à les prendre en charge, l’Etat devant compenser cette prise en charge. Or, la contribution globale de l’Etat s’élève à 380 000 euros par an. Une misère. Aujourd’hui, le gouvernement dépense 13 centimes d’euros par an et par Français établi à l’étranger pour la couverture santé. Il faut aussi introduire plus de progressivité dans les cotisations.. Une famille française moyenne vivant avec le salaire moyen tunisien par exemple devrait sacrifier chaque trimestre un mois de salaire pour sa santé. C’est intenable!
Lors du confinement, de nombreux binationaux se sont retrouvés coincés dans leurs pays d’origine sans que la France ne les rapatrie. Comment comptez-vous agir si cela se reproduit ?
Karim Ben Cheikh : La question dépasse la simple question du rapatriement. Souvenez-vous! On a imposé aux Français résidant à l’Etranger d’avoir des motifs impérieux pour rentrer chez eux. Il a fallu attendre que le Conseil d’Etat dise qu’il s’agissait d’une mesure disproportionnée et donc illégale ! Si je suis élu, que je m’opposerai avec force à toute mesure empêchant les Français de l’étranger, d’exercer le droit fondamental de pouvoir rentrer chez eux.
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La France compte près de 70% de binationaux dans les pays africains. Or, ils ont souvent l’impression d’être ignorés de leur francité quand ils sont dans leur pays d’origine. Comment pouvez-vous les rassurer sur leur avenir et la prise en compte de leurs questionnements ?
Karim Ben Cheikh : Vous faites la distinction entre les Français et ceux que vous nommez les « binationaux ». La République n’a à connaître que des Français. Or, pour construire et maintenir le sentiment d’appartenance collective à la République, il faudrait qu’elle s’incarne dans des droits. Sinon, le mot République sonne creux. Je comprends ce sentiment des Français hors de France qui ont l’impression d’être considérés comme des citoyens de seconde zone. Quand on voit la déliquescence du service public français de proximité, il ne tient que par le dévouement des personnels qui y travaillent. Il y a aujourd’hui moins de 2000 personnes (dont le personnel en France) au service de 3 millions de français à l’étranger. A titre de comparaison, la mairie de Toulouse en a 18000. Outre la question de l’accès à la protection sociale et l’accès à l’éducation, Il y a aussi des droits nouveaux à créer afin de permettre à nos concitoyens de maintenir un lien palpable et pérenne avec la France, comme la possibilité d’avoir une résidence principale en France, de pouvoir se faire soigner en France si on est gravement malade et de ne pas subir le délai de carence. Il faut aussi un accompagnement pour ceux qui veulent aussi rentrer définitivement en France.
Durant le confinement, de nombreux binationaux n’ont pas pu rapatrier le corps de leurs familles. Que comptez vous faire sur cette question ?
Karim Ben Cheikh : Je l’ai vécu. J’ai vu des compagnies qui ont refusé le rapatriement de cercueils. Il y a eu dans les deux sens ce genre d’histoires. Il faut gérer cela au cas par cas dans des négociations avec les autorités locales. On a de l’expérience maintenant. Il faut se baser dessus pour gérer au mieux la suite.
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La France a multiplié par 10 les frais universitaires en France. Faut’il y voir un signe de désengagement et d’évitement d’étudiants étrangers dans ses universités françaises ?
Karim Ben Cheikh : J’y vois un signe d’incohérence totale. D’un coté, on veut multiplier le nombre d’élèves dans le système éducatif, puis, arrivés au bac, ils peuvent se voir refuser un visa. Si vous l’avez, vous devrez payer des frais de scolarité universitaire jusqu’à dix fois plus élevés que les étudiants français. Si on veut maintenir des liens forts avec ces élèves, il faut être cohérent. Je propose qu’une personne ayant fait son lycée dans un établissement français, puisse avoir une garantie d’avoir le visa pour se rendre en France. Ensuite, quelqu’un qui aurait par exemple un master en France, doit pouvoir avoir un droit de circulation avec la France tout au long de sa vie ensuite. Il faut penser dans la durée nos liens scolaires, linguistiques, culturels.