Faites entrer les innocents
Ils ont eu beau clamer leur innocence, la justice ne leur a pas laissé le bénéfice du doute. Si bien qu’à tort, ils ont été incarcérés avant d’être remis en liberté. Pour être dédommagés, ils saisissent la commission nationale de réparation des détentions. Récit d’une après-midi ordinaire au cœur du Palais de justice.
Il n’y a pas foule dans la salle où se réunit la Commission nationale de réparation des détentions. Les audiences ont beau être publiques, elles ne sont pas très fréquentées. Les requérants à l’origine des demandes d’indemnisation traitées ce jour-là n’ont, à une exception près, pas fait le déplacement depuis la province voire l’outre-mer. Leur présence n’est pas obligatoire, et celle de leur avocat non plus.
Le président donne d’abord la parole au conseiller rapporteur qui rappelle les faits, puis à la défense lorsqu’elle est présente et enfin à l’avocat général qui veille, lui, aux intérêts de l’Etat. Inévitablement, les absents ont toujours tort et leurs cas sont traités avec plus de diligence. Beaucoup sont accusés à tort de violences sexuelles et, dans les cas les plus sordides, de pédophilie au sein de la famille.
Acquitté après trois ans d’incarcération
Entre deux affaires de cet acabit, surgit un crime qui avait fait grand bruit il y a huit ans. Le 13 décembre 2009, Amar, un enfant de 12 ans est tué par sept balles perdues alors qu’il se rend à la boulangerie en bas de chez lui. Il s’est retrouvé au milieu de tirs de kalachnikov échangés entre deux bandes de jeunes dans le VIIIe arrondissement de Lyon. La police identifie quatre suspects dans ce meurtre, dont un certain Hicham, âgé de 25 ans à l’époque. Ce dernier est mis en examen et placé en détention provisoire pour assassinat et tentative d’assassinat en mai 2010. Il est acquitté et remis en liberté, après 863 jours d’incarcération. Presque trois ans en prison.
En vue de la réparation du traumatisme subi, Hicham demande 223 201 euros au titre de préjudice moral. Il réclame également une compensation pour perte de salaire et absence de cotisations retraite, ainsi que le remboursement intégral des dépenses engagées pour assurer sa défense. En novembre 2016, la justice évalue son préjudice moral à 34 000 euros (soit près de six fois moins que la somme requise !). Même déception en ce qui concerne ses frais d’avocat qui ne sont que partiellement indemnisés. Hicham saisit donc la Commission nationale de réparation des détentions.
Et ce jour-là, ses deux avocats sont présents et bien décidés à obtenir une meilleure évaluation du préjudice subi par leur client, et dont l’appréciation a probablement été minorée du fait de son passé carcéral. L’un d’entre eux, le pénaliste Sylvain Cormier a fait de la lutte contre les erreurs judiciaires son cheval de bataille. Il estime que les conditions de détention indignes n’ont pas suffisamment été prises en compte. “La maison d’arrêt de La Talaudière (près de Saint-Etienne, ndlr), où Hicham a effectué 90 % de sa détention, est l’une des pires et des plus vétustes du pays.”
Pour convaincre la commission, ils avancent un autre argument de poids, et rappellent en outre que si leur client s’est retrouvé derrière les barreaux, c’est en raison d’une “machination policière” : selon un témoin, un fonctionnaire de police, proche de l’un des quatre suspects, aurait influencé l’enquête en contribuant à la mise en cause de Hicham. Ce fonctionnaire a organisé un enregistrement téléphonique au cours duquel d’autres jeunes impliqués dans ce dossier ont été incités à le désigner comme l’auteur du tir mortel.
“Sous la pression du résultat, la police ne se soucie guère de présenter un innocent devant la cour d’assises”, dénonce la défense, qui insiste sur le “préjudice spécifique que nourrit celui qui se retrouve en détention lorsqu’il sait qu’il fait l’objet d’une manipulation policière”. Maître Cormier évoque le “calvaire” de son client qui alternait “grèves de la faim”, “période où il se tapait la tête contre les murs” et celle où il se laissait tenter par un islam radical. Il rappelle que cette affaire qui avait beaucoup choqué l’opinion publique en raison de l’âge de la victime était survenue à un moment où son client était en train de reconstruire sa vie.
“Les mots y sont mais pas la somme”
A l’issue de leur plaidoirie, les avocats demandent à la commission de faire preuve d’empathie pour cet homme qui n’est certes pas parfait mais qui, livré à la vindicte populaire, a failli devenir fou. Ils jugent l’ordonnance émise par le président de la cour d’appel, en 2016, critiquable, car elle feint de donner raison au requérant sur certains points importants mais tout en sous-estimant le montant de son indemnisation. “Vous voulez dire que les mots y sont mais pas la somme”, résume le président de la commission avant de donner la parole à l’avocat général.
Hicham obtiendra-t-il une compensation plus en adéquation avec le cauchemar qu’il a vécu ? La commission se prononcera sous quelques semaines. Au suivant…
DES PRÉJUDICES IMPOSSIBLES À COMPENSER
Une fois par mois, la Commission nationale de réparation des détentions se réunit dans une chambre discrète du Palais de justice de Paris pour évaluer l’indemnisation de personnes victimes d’erreurs judiciaires. Ces innocents, qui se sont retrouvés à tort derrière les barreaux pendant des jours, des semaines, des mois voire des années, peuvent saisir cette instance s’ils ne sont pas satisfaits des montants alloués en guise de réparation du préjudice subi, par le président de la cour d’appel dont ils dépendent.
Les débats de la “chambre des innocents” – pour reprendre le titre du livre documenté sur la question de Mathieu Delahousse (Flammarion, avril 2017) – ont lieu en audience publique sauf opposition du requérant. Cette chambre se compose d’un président et de cinq membres, ainsi que d’un avocat général chargé de défendre les deniers publics, les indemnités allouées étant à la charge de l’Etat.
Des décisions sans recours
La commission fixe le montant du préjudice matériel et moral résultant d’une incarcération abusive. Par exemple, ceux qui percevaient un salaire ou d’autres revenus interrompus par la détention, seront dédommagés en proportion. Les frais d’avocats seront remboursés à condition qu’ils rémunèrent “des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin”. Les décisions de cette commission ne sont susceptibles d’aucun recours.
Mais peuvent-elles donner satisfaction ? Quel est le tarif d’un honneur à jamais sali d’autant plus que le préjudice lié à la médiatisation de l’affaire ne donne lieu à aucune réparation matérielle ? Quel est le prix des journées volées à la vie ? Comment compenser les dégâts que provoquent le choc carcéral et son impact sur la vie sociale, familiale et conjugale ? Comment comptabiliser le traumatisme d’une personne emprisonnée, alors qu’elle se sait innocente ? Comment indemniser le désarroi et l’impuissance de son entourage ? Comment réparer ce qui ne peut l’être ?
MAGAZINE SEPTEMBRE 2017