JO 1928. La détermination de Jasmine pour sortir de l’oubli son grand-oncle, vainqueur du marathon
C’était il y a presque un siècle. Aux JO d’Amsterdam le 5 août 1928, un athlète inconnu au bataillon, un poids plume à la foulée aérienne, répondant au nom de Boughera Ahmed El Ouafi, né en 1898 à Ouled Djellal, remporte, contre toute attente, en 2h 32min 57s, la prestigieuse épreuve du marathon. Il est la seule médaille d’or olympique française de cette neuvième olympiade. Les champions hexagonaux attendus comme Jules Ladoumègue ne sont pas au rendez-vous.
Après son titre olympique, les choses se compliquent pour El Ouafi. Pour gagner sa vie, il part courir aux Etats-Unis, coupable aux yeux du Comité olympique d’avoir enfreint les sacro-saintes règles de l’amateurisme.
Il est alors radié de la Fédération française d’athlétisme et ne sera plus jamais autorisé à concourir dans une compétition officielle. Oublié du sport français, il retourne travailler à l’usine.
Il faut attendre 1956 et la victoire d’Alain Mimoun au marathon des JO de Melbourne pour que son nom ressurgisse. Ému par le triste sort de son prédécesseur, Alain Mimoun demande que Boughera soit présent lors de la réception en son honneur au Palais de l’Elysée.
Trois ans plus tard, en 1959, Boughera Ahmed El Ouafi est tué par balles à Saint-Denis où il vivait, selon toute vraisemblance, sa mort est causée par des membres du FLN algérien. Sur sa tombe du cimetière musulman de Bobigny, il y a cette l’inscription : « L’Algérien Boughera Ahmed El Ouafi, champion olympique du marathon en 1928. Ne l’oublions pas ».
A l’occasion des Jeux olympiques de Paris qui se tiendront en 2024, Jasmine Zeroug, arrière-petite-nièce du champion olympique français Boughera Ahmed El Ouafi est déterminée à rappeler à la mémoire collective l’exploit réalisé par son grand-oncle.
LCDL : Comment expliquez-vous que votre grand-oncle a été effacé de la mémoire du sport français ?
Jasmine Zeroug : 1928, c’est le siècle dernier ! Bien que des livres, des articles de journaux voire des vidéos aient été produits, seuls les initiés connaissent Boughéra El Ouafi. Le grand public, lui, n’a probablement jamais entendu parler de cet homme et de son exploit. A l’époque, il n’existait pas autant de médias que maintenant et peut-être que les JO n’avaient pas l’envergure que l’on connait aujourd’hui. Enfin, mon grand-oncle était un homme extrêmement discret.
Pourquoi voulez-vous réhabiliter votre grand-oncle ?
Je ne dirais pas « réhabiliter » mais plutôt rappeler à la mémoire collective l’exploit réalisé. A mon sens, il n’est certainement pas le seul athlète oublié de cette mémoire. Au-delà de cela, compte tenu de l’époque actuelle, je pense qu’il est important de rappeler que le sport français, mais pas que, est ouvert à tous quelle que soit son origine.
Et quel bel exemple que de parler de mon grand-oncle né dans le Sud de l’Algérie qui a choisi de rester en France dès les années 20 et qui dès 1923 s’illustre lors de sa première course de fond, puis devient champion de France en 1924.
Champion de France au marathon en 1927, il est sélectionné pour les Jeux olympiques de 1928 à Amsterdam. Lui, l’athlète « maghrébin » porte le dossard 71 frappé du coq bleu blanc rouge. Il représente la France et remporte le marathon alors que personne ne pariait sur lui !
Comment comptez-vous vous y prendre ?
En 2024, se tiendront en France, les Jeux olympiques. En juillet 2020, ma maman a subitement tiré sa révérence. Elle souhaitait que les jeux de Paris puissent rendre hommage à son oncle, tout comme elle l’avait fait en 2008 lorsqu’elle a été invitée sur le Marathon d’Amsterdam.
Il lui avait été proposé d’effectuer un tour de piste en l’honneur de son oncle. Ce qu’elle a fait avec fierté. Pour honorer le souhait de ma mère et remettre en lumière mon grand-oncle, je souhaiterais faire la même chose. Et on pourrait même aller plus loin en essayant de retrouver des descendants de champions oubliés pour courir ensemble…
Quel homme était votre grand-oncle ?
C’était un homme très gentil, discret, voire trop discret. Un homme qui ne faisait pas de vague. Il vivait simplement. Il avait toujours un sourire et un regard empli de bienveillance. Malgré les différentes épreuves de la vie qu’il a traversées, il a toujours tenté d’aller vers le meilleur tout en restant humble et honnête. Il n’avait qu’un seul regret, celui d’avoir été radié par la Fédération française d’athlétisme parce qu’il avait été rémunéré pour courir aux Etats-Unis.
Interviewé par la presse, il disait alors : « J’ai été ballot d’accepter de traverser l’Atlantique […] mais je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que ça représentait pour moi, un manœuvre des usines Renault, d’aller en Amérique ! J’ai accepté, tiens ! Tous mes frais étaient payés. C’est beau, vous savez, l’Amérique. […] Au Chilien qui a été derrière moi à Amsterdam, son président a donné une villa. Le mien m’a disqualifié ! J’ai mis les quelques sous que je possédais dans un fonds de commerce, un café. Mais je suis un balourd, mon associé m’a escroqué ».
Parlez-vous de lui au sein de votre famille ?
Lorsque j’étais petite, nous allions de temps en temps au cimetière musulman de Bobigny, là où il est enterré dans le carré des « Elites ». D’ailleurs, c’est le CIO (NDLR : Le comité olympique) qui avait pris en charge les obsèques (aujourd’hui se pose la question du renouvellement de la concession). C’était l’occasion d’en connaître un peu plus sur son histoire, son parcours, sa vie.
Souvent à la maison, maman me racontait comment il s’occupait de ses neveux et nièces car il vivait avec eux après son accident. Ce qu’il en ressort, c’est que cet homme au destin tragique, était un homme humble, sans prétention et respectueux.
Comment avez-vous découvert son existence ?
J’ai toujours entendu parler de ce fameux grand-oncle qui a remporté une médaille d’or aux jeux olympiques de 1928 dans la discipline reine qui est le Marathon. Une fierté pour maman.
Vous dites que Boughera EL Ouafi n’était pas son vrai nom…
En effet, au niveau de l’état civil, son véritable nom était Louafi Ben Abdellaki Bouguera né en 1903 à Ouled Djellal. Il était connu sous le nom de Boughera El Ouafi. Inversion du nom avec le prénom et orthographe différente.
Votre grand-oncle a connu une fin tragique…
Oui, malheureusement. Le 18 octobre 1959, il est tué par balles au premier étage d’un café-hôtel de la rue du Landy à Saint-Denis où il vivait. C’était en pleine guerre d’Algérie. On ne sait toujours pas ce qu’il s’est vraiment passé ce jour-là, mais la piste d’un règlement de comptes entre mouvements indépendantistes algériens paraît la plus crédible.
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