Ivry-sur-Seine. Le cinéaste Adnane Tragha sort son premier livre
A 45 ans, le cinéaste Adnane Tragha signe son premier livre. Et c’est une réussite. « Cité Gagarine, on a grandi ensemble » (textes agrémentés de photos, des clichés parfois très intimes), raconte avec tendresse mais sans angélisme un pan de l’histoire méconnue de la Cité Gagarine à Ivry-sur-Seine (94). Une barre HLM, inaugurée en 1963 par le spationaute soviétique en personne, haute de treize étages, qui a abrité trois cent cinquante logements. La cité ouvrière a été détruite entièrement cette année.
Le livre d’Adnane Tragha sort ce mercredi 14 octobre aux éditions JC Lattès.
LCDL : Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Adnane Tragha : A la base, ce n’était pas vraiment prévu. Je suis cinéaste, j’ai d’ailleurs réalisé un documentaire sur la Cité Gagarine qui devrait sortir début 2021. J’ai grandi en face de cette cité et quand j’ai appris qu’elle allait être détruite. J’ai eu envie de donner la parole à des gens qui avaient vécu à Gagarine et que j’avais côtoyés.
Pourtant, à l’annonce de sa destruction, plusieurs projets culturels ont vu le jour…
Effectivement, mais il n’y en avait aucun qui montrait le quartier que je connaissais. Je ne suis pas le journaliste qui va enquêter mais je suis celui qui était déjà sur le terrain. Je voulais donner une autre image des quartiers populaires, parler des 98% des gens qui travaillent. Et non comme c’est trop souvent le cas, des 2% qui ne respectent rien. Je voulais figer une mémoire pour qu’elle ne disparaisse pas.
Votre livre est très intime…
Oui. Certains des protagonistes qui témoignent sous leur vrai nom sont des gens pudiques. Au départ, ils n’avaient pas spécialement envie de raconter leur vie publiquement alors que leurs parcours méritent amplement d’être exposés. Mais ça n’a pas été très difficile de les convaincre : une fois que je leur ai expliqué le projet, ils m’ont accordé très vite leur confiance. Ils m’ont alors apporté leurs albums photos personnels et c’est tellement beau de voir le résultat final.
Votre livre n’est jamais manichéen…
Effectivement. Comme dans la vie quoi ! Il n’y a pas les bons d’un côté et les mauvais d’un autre. J’ai juste essayé d’être le plus honnête possible. Je n’ai évité aucun sujet. Dans mon livre, je parle de religion, d’identité et j’ai dit ce qui allait et ce qui n’allait pas…
Comme pour la politique…
Exactement. J’ai plutôt une sensibilité de gauche, des idées proches du parti communiste. Mais à chaque fois que j’estime qu’une de leur mesure ne va pas dans le bon sens, je le dis. Je ne suis pas là pour plaire aux gens. Je vote pour des idées, pour un programme.
Par exemple : un groupe d’amis de mon quartier, des gars que j’adore, ont monté une liste citoyenne aux élections municipales et pourtant je n’ai pas voté pour eux. J’ai choisi le projet qui était défendu par les communistes. Je ne suis pas membre du PC mais je trouve que localement ils font parfois du bon boulot.
Je ne suis pas d’accord avec tout. Par exemple, je déteste leur paternalisme. Trop souvent, les communistes font les choses pour les gens et rarement avec eux. Sinon, je me souviens que gamin à l’école, grâce à la municipalité communiste, j’allais au musée, au théâtre, au cinéma, on partait en colo, on faisait du sport. La mairie mettait le paquet sur la jeunesse.
Votre livre, c’est d’abord une série de parcours…
Même si l’existence était parfois difficile, la cité Gagarine a rendu des gens heureux et a fabriqué des personnes extraordinaires. Par exemple, je parle de Samira, la sœur d’un copain, qui a fait ses études à Harvard et qui est devenue une grande chercheuse.
Il y a aussi le portrait d’un ami auparavant très en colère contre la France et qui se sent pleinement français aujourd’hui.
Je raconte aussi l’itinéraire de ce type employé dans la pub, viré du jour au lendemain et qui se retrouve gardien à la Cité Gagarine. Gagarine l’a sauvé. Je voulais montrer ce que la cité avait apporté à des gens.