Indépendance de la Banque centrale de Tunisie : une ligne rouge est franchie

 Indépendance de la Banque centrale de Tunisie : une ligne rouge est franchie

Economistes et experts financiers sont unanimes : tout emprunt direct de l’État auprès de la Banque centrale aurait sans doute de graves répercussions. Mais au mépris de ces mises en garde répétées, un projet de loi en ce sens a bien été soumis le 26 janvier courant par le gouvernement Hachani au Parlement, apprend-on aujourd’hui mardi. Composé d’un article unique, il vise à permettre à la BCT de financer le Trésor public via de généreuses facilités. Explications.

L’article en question soumis au vote à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) stipule qu’il s’agit d’une exception aux dispositions de l’article 25 de la loi portant fixation du statut de la BCT et qu’en vue de financer une partie du déficit du budget de l’État pour l’année 2024, « la Banque centrale est autorisée exceptionnellement à accorder des facilités au trésor public de l’Etat à hauteur d’un montant net d’une valeur de 7.000 millions de dinars remboursé sur dix ans, avec une période de grâce de trois ans, le tout sans intérêts »…

 

Un acte de mauvaise gouvernance

Ainsi ces facilités sont donc accordées sur demande du trésor public. Un accord serait conclu entre le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque centrale pour fixer les modalités de retrait desdites facilités et de leur remboursement. Etant donné le caractère urgent de cette requête selon le gouvernement Ahmed Hachani, ce dernier a même de surcroît assorti son texte d’une demande auprès de l’Assemblée pour accélérer le traitement de ce projet de loi.

Incapable d’obtenir 1,9 milliard de dollars (soit moins de 6 milliards de dinars tunisiens) auprès du FMI, l’Etat tunisien exige en somme 7 milliards de dinars de la BCT. Ce que d’aucuns qualifient à juste titre de hold-up sur la Banque centrale ne surprend pas en réalité les observateurs avisés qui avaient saisi la teneur hostile de la visite du 9 septembre 2023 effectuée par le président de la République Kais Saïed au siège la BCT, Avenue Mohamed V. Le gouverneur de la Banque, Marouane Abassi, avait alors dû être dépêché sur place où il s’était vu signifier que son titre de « gouverneur » était sémantiquement inadéquat, une façon indirecte de remettre en question sa souveraineté décisionnelle.

Or, outre une hausse supplémentaire induite de l’inflation, affectant aussitôt le pouvoir d’achat des Tunisiens, ce type d’emprunts autoritaires directs que l’Etat s’accorde en quelque sorte à lui-même « entraîne immanquablement le risque d’une dangereuse dépréciation du dinar, une chute du taux de change, voire l’épuisement des réserves de devises », selon Mohamed Souilem, expert et ancien directeur général des politiques monétaires à la Banque centrale de Tunisie. L’homme invoque en cela de précédents exemples historiques de politique monétaire désastreuses en d’autres contrées où des Etats et des dirigeants peu soucieux du rôle imparti aux banques centrales furent tentés par ce raccourci de la facilité qui les exonérait d’engager d’impopulaires réformes macroéconomiques.