Importations : l’Union européenne met en garde la Tunisie

 Importations : l’Union européenne met en garde la Tunisie

L’exécutif tunisien pratique depuis le coup de force du président Kais Saïed un souverainisme sélectif : continuer à solliciter les bailleurs de fonds occidentaux et les organismes libéraux tels que le FMI, tout en mettant en place un protectionnisme monétaire et commercial. Une ambiguïté qui n’a pas échappé à la Commission européenne.

Dans une conséquente lettre de trois pages, adressée depuis Bruxelles à la ministre tunisienne du Commerce et du Développement des exportations, et signée par le conseiller principal à la cohérence des relations commerciales, au sein de la direction générale du Commerce, Léon Delvau, la Commission européenne requiert avec autant de tact que de fermeté  une réunion de crise : elle « se tient à disposition pour échanger d’urgence sur ces sujets d’importance pour les deux parties. »

A l’ordre du jour, les inquiétudes de l’Union européenne relatives aux mesures de restrictions des importations annoncées par le pouvoir tunisien, conformément au souhait de Kais Saïed. L’UE invite ainsi clairement le ministère du Commerce à suspendre leur application qui entre en vigueur le 17 octobre courant.

 

Une longue liste de doléances

La liste des griefs formulés par Bruxelles aux mesures édictées est pour le moins exhaustive. « Le système de contrôle technique à l’importation en place est un mécanisme de contrôle technique complexe, et peu transparent, qui ne semble pas basé sur une analyse des risques et représente une importante barrière à l’entrée », note en préambule la Commission.  « L’obligation d’importer directement de l’usine sans passer par l’intermédiaire des distributeurs et de soumettre la facture de l’usine pour obtenir l’autorisation d’importation remet fondamentalement en question les relations commerciales et contractuelles entre partenaires économiques et sera rédhibitoire », regrette la même source.

Plus loin, on peut y lire une vive critique du surplus de bureaucratie introduit par le nouveau décret-loi présidentiel : « le fait que chaque opération d’importation devra être autorisée au préalable par le service compétent correspond à une licence non-automatique à l’importation. Ceci n’est pas conforme aux engagements bilatéraux de la Tunisie avec l’Union européenne ni à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), comme soulevé dans le cadre des mesures restrictives mises en place en 2020 pour l’importation des fromages et chocolat, malheureusement toujours en vigueur. »

Pour l’opposition tunisienne, cette mise en garde de l’UE constitue un camouflet et une gifle de réalisme pour « la politique populiste » du président Saïed qui tente de reprendre d’une main ce qu’il donne de l’autre. Tandis que pour d’autres observateurs, le pouvoir saïdiste ne saurait être qualifié de populiste dans la mesure où il est avant tout amateur et incompétent, faisant la chose et son contraire, et découvrant l’existence d’engagements contraignants de la Tunisie auprès de l’OMC.

« La lourdeur administrative induite par l’obligation de présenter 8 documents au service compétent est considérable », note par ailleurs Bruxelles. Parmi eux figure un certificat de vente libre. Exigé depuis 2017 pour trois types de produits, il est désormais étendu à pas moins de 130 lignes tarifaires. L’Union européenne qui demande depuis 2017 l’abolition des certificats regrette sa généralisation qui alourdit les démarches sans apporter plus de sécurité au consommateur tunisien.

 

L’OMC pourrait bientôt sévir

Plus loin encore, la même lettre avertit que « l’UE note avec regret que la Tunisie à ce stade n’a notifié à l’OMC ni la transparence de ses mesures douanières ni les points de contact pour la coopération douanière dans le cadre de l’Accord pour la Facilitation des Echanges. »

Pas dupe des intentions de son interlocuteur, le conseiller auteur de ce texte explique en effet : « Nous notons votre intention de réviser la valeur référentielle servant de base au calcul et au paiement des droits et taxes lors de la libération de la marchandise par les services de la douane tunisienne et élargir la liste de produits ciblés. Nous rappelons toutefois que l’Accord de valeur en douane de l’OMC, auquel il est fait référence dans notre accord bilatéral, établit précisément les procédures pour établir la valeur en douane et exclut le recours à des valeurs minimales. »

Pour conclure cette lettre à charge, Delvau affirme : « enfin, nous notons avec grande inquiétude le projet d’élargissement de la liste des produits soumis à l’avance sur l’impôt et d’augmentation de la valeur de cette avance. La pratique en vigueur depuis 2017 de prélever 10% de la valeur des marchandises importées pose problème aux entreprises européennes exportatrices, notamment les plus petites, car cette avance nécessite une mobilisation importante de trésorerie. Nous l’avons soulevé à maintes reprises et sa possible extension nous conduit à réitérer et amplifier ce point. Ces mesures viendraient s’ajouter à la hausse conséquente des droits de douanes qui ont affecté certaines exportations européennes depuis le 1er janvier 2022. Elles iraient à l’encontre des efforts menés par la Tunisie pour se réformer, s’ouvrir et attirer notamment des investisseurs étrangers. »

Fin septembre, la présidence de la République tunisienne se fendait d’un communiqué devenu depuis la risée des réseaux sociaux, imputant le déficit commercial du pays aux importants des produits de luxe dont les produits cosmétiques et de maquillage, les parfums, ainsi que les croquettes pour animaux domestiques.