Il y a 60 ans : De Gaulle et l’inévitable indépendance de l’Algérie

 Il y a 60 ans : De Gaulle et l’inévitable indépendance de l’Algérie

L’ambiguité volontaire de clarté de son message ‘Je vous ai compris’ permet de contenter tout le monde.

De nombreux historiens se sont passionnés pour la politique algérienne du général de Gaulle. Tout ou presque a fait l’objet de recherches et de littérature. Ils s’accordent cependant pour dire que c’est par sens du réalisme qu’il a peu à peu basculé en faveur de l’autodétermination.

« On ne résout pas un problème comme celui-là, on vit avec », soupire Charles de Gaulle en mai 1958 quand il est rappelé au pouvoir à la faveur de la guerre d’Algérie, qui a achevé la IVe République. Après dix ans de traversée du désert, l’homme de l’appel du 18 juin jouit encore d’un grand prestige. Il apparaît pour beaucoup comme l’homme providentiel au milieu du bourbier qu’est la guerre d’Algérie. Un naufrage politique et économique qui n’en finit plus de broyer des vies humaines dans les deux camps.

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De l’autre côté de la Méditerranée, les Français d’Algérie sont aussi acquis à celui qui s’est battu 15 ans plus tôt pour libérer la France et préserver son intégrité territoriale. Ils sont encore certains qu’il sauvera « l’Algérie de papa ».

Pourtant, quand il retrouve le pouvoir, « De Gaulle n’a absolument pas l’idée de ce qu’il va faire », déclare à l’AFP l’historien Maurice Vaïsse. Il s’entoure d’ailleurs à la fois de personnalités pro-Algérie française et d’autres acquises à l’indépendance.

 

« Je vous ai compris »

« Il sait qu’il y a une tendance générale à la décolonisation et ne prétend pas que l’Algérie restera éternellement française ». Mais, il n’a a priori pas de position idéologique sur la question, ajoute M. Vaïsse. Si l’on se réfère à ses discours publics, l’Histoire a d’abord retenu le fameux « Je vous ai compris » lancé à la foule algéroise le 4 juin 1958. Un déplacement qu’il effectue trois jours seulement après son investiture.

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Qui a-t-il réellement « compris » et comment ? La formule est interprétée différemment. Son manque – volontaire – de clarté permet de contenter tout le monde. Cette ambiguïté originelle vaudra à De Gaulle de se faire ensuite accuser de « trahison » par les Français d’Algérie et une partie de l’armée.

Ils mettront aussi en avant le « Vive l’Algérie française » proclamé dans la foulée à Mostaganem et cité par l’auteur de l’attentat manqué de 1962 au Petit-Clamart pour justifier son acte. De fait, ces « malentendus » lui permettent surtout de gagner du temps. Il s’inscrit même d’abord plutôt dans les pas de ses prédécesseurs.

 

Cheminement vers l’acception de l’inévitable

« Il se dit que, si on réforme l’Algérie française, on va pouvoir la sauver. Il met ainsi en place le collège unique d’électeurs et lance un programme d’industrialisation avec le plan de Constantine », explique à l’historienne Sylvie Thénault, spécialiste de la guerre d’indépendance algérienne.

Il tente aussi la « Paix des braves ». Mais l’Armée de libération nationale rejette son offre. À partir de 1959, sa politique connaît encore des zigzags. Il déclare en mars 1960 que l’indépendance, « c’est une fumisterie » pour apaiser les militaires. Cependant, le général de Gaulle chemine en réalité vers l’acceptation d’une Algérie algérienne. En essayant de préserver au mieux les intérêts français, notamment au Sahara.

 

Recentrage sur la construction européenne et le nucléaire

Le tournant décisif intervient le 16 septembre 1959. Il proclame le principe du droit des Algériens à l’autodétermination. Véritable acte de décès de l’Algérie française. Il a en fait pris en compte la réalité du terrain algérien, l’image abîmée de la France à l’international, avec sa mise en accusation à l’ONU, et le basculement de l’opinion publique illustré par les « Paix en Algérie » qui fleurissent partout sur les murs en métropole.

« Il comprend que le monde est en train de changer et que ce qui compte, ce n’est plus l’Empire colonial, mais la construction européenne et l’entrée dans le nucléaire », souligne Sylvie Thénault. Celui qui a toujours pensé qu’il n’y a « pas de politique qui vaille en dehors des réalités » a tranché. Il n’a fait qu’accepter l’inévitable en jugeant que le jeu n’en valait plus la chandelle.