Il y a 10 ans, Amine Bentounsi était tué d’une balle dans le dos par un policier

 Il y a 10 ans, Amine Bentounsi était tué d’une balle dans le dos par un policier

Photo de Amine Bentounsi et de sa fille, imprimée sur un tee-shirt que porte sa sœur Amal Bentounsi, lors de la cérémonie funéraire d’Amine Bentounsi abattu par un policier le 21 avril 2012. MEHDI FEDOUACH / AFP

Le 21 avril 2012, Amine Bentounsi, 28 ans, est abattu à Noisy-le-Sec (93) d’une balle dans le dos par Damien Saboundjian, un gardien de la paix. A l’époque des faits, Amine Bentounsi est recherché par la police pour ne pas être rentré de permission. Acquitté en première instance, son meurtrier, Damien Saboundjian est condamné en 2017 à une peine de cinq ans de prison avec sursis et une interdiction de porter une arme pendant la même durée. La légitime défense n’a pas été retenue. Notre journaliste Nadir Dendoune lui avait consacré une tribune.

 

« Je m’appelle Amine Bentounsi, je suis mort à 28 ans. C’est jeune, je sais. Au début d’une vie. J’aurais pas dit Non à quelques années de plus, même si mon existence, c’était pas l’Eldorado tous les jours.

Au fond de moi, j’ai toujours su que ça se finirait mal. Mais, jamais, je n’aurais pensé que j’allais crever de la sorte. Comme un chien, sur le bitume. Ma vie, je l’ai vécue en pointillés. Par bribes. Une vie à essayer de trouver une porte de sortie.

J’ai bien aimé la phrase du juge me concernant : « Il n’y a pas de bonne et de mauvaise victime. Il y a juste la mort d’un homme ». C’est vrai : personne ne mérite de mourir comme ça.

J’ai été abattu d’une balle dans le dos par un gardien de la paix qui n’avait rien à faire dans la police, le 21 avril 2012 à Noisy-le-Sec, alors que j’étais posé dans un café. Aujourd’hui, après ses deux procès, j’en sais un peu plus sur lui. J’ai été tué par un looser. Mal noté à l’école de police, il avait raté deux fois son CAP. Merde. Manquait plus que ça !

Ça change rien au fond, mais quand même. En même temps, qui d’autre qu’un minable peut abattre quelqu’un de dos ? Filer une arme à un mec comme lui, en fait, c’était totalement irresponsable.

Ce 21 avril 2012, le flic a paniqué. Je m’étais débarrassé de toutes mes armes et je n’étais plus un danger pour personne. Il voyait bien qu’il n’allait pas pouvoir me rattraper alors il a tiré. Un peu n’importe comment. Il a tiré quatre balles. Il y en a une qui est partie se loger dans le bas d’une voiture. Elle aurait pu être fatale au conducteur. Je suis heureux qu’elle ne l’ait pas touché. Il y en a deux autres dont on n’a jamais retrouvé la trace. Il paraît qu’elles se sont perdues dans le ciel. Mais l’une d’entre elles m’a été fatale.

Les toubibs ont dit qu’à quelques millimètres près, je serais toujours en vie. C’est souvent le cas. Ça tient à rien, la mort. Ce jour-là, il aurait dû me laisser partir. Mais je suis sûr qu’il pense que j’ai eu ce que je méritais.

Ce jour-là, j’ai préféré m’enfuir que de me rendre en les voyant arriver. Ils étaient trois flics. Celui qui m’a tué attendait dans la voiture. Ses collègues lui avaient dit : « Tu bouges pas ». A l’école de police, ils apprennent qu’il faut intervenir en équipe. Ça se comprend. Mais, lui, il n’en a fait qu’à sa tête.

Alors, il a fait le tour du pâté de maison et il s’est retrouvé face à moi. J’ai fait demi-tour en le voyant, et j’ai couru et couru comme je ne l’avais jamais fait auparavant. Il a dit que je l’avais braqué, mais il ment. Il est le seul à le dire. Un de ces collègues l’a dit aussi d’abord, mais il a fini par avouer qu’il avait menti. Tous les témoins m’ont vu m’écrouler sur le sol face contre terre. Ce jour-là, je voulais juste partir.

Depuis deux ans, j’étais recherché par la police parce que j’avais décidé de ne pas rentrer de permission. C’était pas malin, c’est vrai mais j’avais besoin de ma liberté. Je ne voulais pas retourner dans ma cellule. Je courais et je courais. Vite. Avec force. Je pensais à ma fille. J’avais prévu de la retrouver le soir même. Ça me donnait du courage. Depuis deux ans donc, j’étais dehors. Heureux. Je voyais ma fille tous les jours. Je la voyais grandir. Je la voyais sourire. Je la voyais s’endormir. J’avais presque oublié que j’étais un fuyard.

J’aurais dû jouer le jeu. Accepter de retourner au cachot. Finir ma peine. Surtout qu’il ne me restait pas grand-chose. A peine quelques mois. Mais ma soif de liberté était trop grande. Comprenez-moi : la prison, je n’ai connu que ça. Depuis l’âge de 13 ans, je fais des allers-retours en taule.

J’ai 13 ans et on me vire de mon collège. J’habite Meaux, en Seine-et-Marne. Je traîne dans la rue où je fais des mauvaises rencontres. Ils sont plus grands que moi, alors je les vois comme des modèles. Ils m’emmènent avec eux un peu partout. On rigole bien j’avoue.

Un jour, on met le feu dans une poubelle et le feu se propage dans une école. Bien sûr que c’est grave mais ce jour-là, il n’y a pas de blessés. Le juge oublie que je ne suis qu’un gamin et que je n’ai fait que suivre le groupe. Il m’envoie à Fleury-Mérogis. J’ai 13 ans et je deviens le plus jeune détenu de France.

Avec le recul, je n’ai jamais compris pourquoi on m’avait foutu à cet âge-là derrière les barreaux. J’aurais dû être placé ailleurs, avec des adolescents de mon âge, entouré d’éducateurs. Pas jeté en pâture avec des braqueurs et des violeurs. Pas à cet âge-là. Non, on ne fait pas ça à un enfant.

La vie, le crime, je l’ai appris à l’intérieur. Ils m’ont tué une première fois à l’âge de 13 ans. En sortant de prison, j’étais détruit à l’intérieur. J’ai replongé vite dans la délinquance.

Aujourd’hui, je sais que beaucoup pensent que j’ai mérité mon sort et que je n’ai rien fait pour m’en sortir. Mais j’ai essayé. Peut-être, pas assez. Peut-être pas comme vous auriez aimé. Mais j’ai essayé. On ne m’a jamais montré le mode d’emploi. On ne m’a jamais dit comment me réinsérer. On n’a fait que me punir.

Pour vous dire que j’ai essayé de changer de route, je suis même allé jusqu’à me renier. A 15 ans, j’ai fait des démarches pour changer de prénom. Pour me donner une chance d’avoir un nouveau départ. Je ne voulais plus m’appeler Amine, mais Jean-Pierre. Avec mon passé de délinquant, je me suis dit que ça pouvait aider d’avoir un prénom de « Français ».

Maintenant, c’est fini. Il n’y a plus que les larmes. Il n’y a plus que les regrets. Les remords. La seule satisfaction que j’ai trouvée dans ma mort, c’est d’avoir vu à quel point les miens m’aimaient. Et puis, j’ai découvert la force d’Amal. Ma grande sœur. Elle est impressionnante. Elle a toujours été à mes côtés. Elle m’a élevé comme son fils.

Souvent, de là-haut, je la vois pleurer. Et je m’en veux. Je l’aime tellement, ma frangine. Je sais qu’elle pense qu’elle est un peu responsable de ce qui m’est arrivé. C’est Amal qui m’avait convaincu de faire une demande de permission. Elle se trompe. Même si j’étais en cavale, j’ai vécu les deux plus belles années de ma vie.

Moi, je pense qu’en me fourrant sa balle à proximité de ma colonne vertébrale, le flic, responsable de ma mort, a voulu se venger. Se venger de sa vie minable, de ses frustrations. Il s’est servi de ma vie pour devenir un héros. Il me voyait courir et courir. Il me voyait distancer ses collègues et ça, il ne l’a pas supporté. Il s’est dit : « abattre un délinquant multirécidiviste comme moi, ça vaut pour sûr une médaille ».

Je m’appelle Amine Bentounsi. Je suis mort à 28 ans un 21 avril 2012. On aurait pu en rester là. Manque de pot pour celui qui m’a tué, je suis le frère d’une grande dame. Je suis le frère d’Amal Bentounsi. Grâce à elle, grâce à sa persévérance, grâce à son courage, un policier a été condamné. Certes, à une peine symbolique, mais la cour a reconnu qu’il n’y avait pas eu de légitime défense. Oui, il m’a abattu comme un chien. Et pour la première fois, avec ce verdict, je me suis senti exister. »


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