Le coup de grisou de Liévin en 1974
LE CONTEXTE
27 décembre 1974
Dans le Nord, les mineurs de Liévin fêtent Noël. Le 27 décembre, il leur faut se remettre au travail. Ils descendent dans la mine pour deux jours, juste avant les fêtes du Nouvel An. Dans le secteur Six-sillons de la fosse n° 3, dite Saint-Amé, certains préparent l’exploitation d’une veine de charbon. Soudain, à 6 h 19, à 710 m de profondeur, un violent coup de grisou dévaste une partie de la fosse. En fin de matinée, on dénombre déjà sept morts, mais la liste des victimes ne cesse de s’allonger. Le bilan macabre atteint 42 morts et huit blessés. C’est la plus grande catastrophe dans le bassin minier français depuis la Libération. Le Président Valéry Giscard d’Estaing ne se déplace pas et envoie son Premier ministre, Jacques Chirac. Ce qui sera très mal vécu. Ce dernier déclare que “toute la lumière sera faite sur les conditions dans lesquelles la catastrophe s’est produite”. L’enquête est confiée au magistrat Henri Pascal. Lequel décèle dans les poumons des victimes des taux de méthane cinquante fois supérieurs à celui de leur foie et de leur cerveau. A l’évidence, des manquements aux règles d’hygiène et de sécurité sont en cause. Au final, c’est le directeur d’exploitation du site qui sera inculpé. Injuste pour la CGT, partie civile dans le procès, qui estime qu’il “serait incompréhensible que seul l’inculpé soit sur le banc des accusés”. Le tribunal de Béthune leur donnera raison début 1981. Reconnaissant que la société exploitante est civilement responsable du drame et la condamnant pour “faute inexcusable”. La mine de Liévin sera définitivement fermée en 1977.
LE TEMOIN : ACHILLE BLONDEAU
Né dans le Nord, en 1925, Achille Blondeau commence à travailler à la mine dès 14 ans, “parce que le Front populaire avait fait passer une loi sur l’âge des mineurs en 1936, sinon j’aurais commencé à 12 ans”. Militant syndicaliste et communiste, déporté et résistant, il est délégué syndical avant de devenir secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs du sous-sol (“la CGT-Sous-sol”) jusqu’en 1980, “car après 55 ans, il fallait laisser la place aux jeunes”. Il s’est battu aux côtés des mineurs de Liévin et revient sur la tragédie.
“J’ai baigné dans la mine depuis tout petit. Dans le café au bord du bassin minier, où j’allais avec mon père, je voyais les mineurs, ‘les gueules noires’, se retrouver pour boire une chope et jouer aux cartes. Mon père était employé à la mine, ainsi que mes deux grands-pères. Au lendemain de mes 14 ans, je suis rentré à la mine. Mon père était secrétaire général des mineurs de la CGTU et, en 1936, il est devenu secrétaire général pour la CGT de la quasi-totalité du bassin minier du Nord.
Notre combat dépassait les origines
J’ai adhéré aux Jeunesses communistes clandestines à la fin de 1940, avec la volonté de lutter contre les Allemands. Notre groupe a été arrêté en janvier 1943 et j’ai été déporté à la forteresse d’Huy, en Belgique (l’antichambre des camps de Dachau, ndlr). Mais j’ai eu de la chance, j’ai pu regagner la France avec des camarades. C’est un fait unique. Je pense que c’était lié au contexte de l’époque. Après Stalingrad, certains Allemands ont compris que la guerre était perdue et la Kommandantur de Bruxelles a décidé de renvoyer les déportés en France. J’ai été acquitté car aucune arme ne figurait dans mon dossier. Libéré en février 1944, je rentre en résistance chez les FTP un mois plus tard. En 1946, des membres de la CGT étaient au gouvernement et on a pu faire passer au Conseil national de la Résistance la nationalisation des Charbonnages de France et un statut pour les mineurs. J’ai continué le combat syndical pour mes camarades mineurs jusqu’à devenir, en 1968, le secrétaire général de la CGT-Sous-sol. Pendant cette période, c’était vraiment un monde de solidarité. Plus de la moitié des travailleurs étaient des étrangers, beaucoup de Polonais et d’Italiens. Nos intérêts étaient communs, notamment à cause des conditions de travail. Les mineurs d’Afrique du Nord sont arrivés plus tard, vers 1946, quand des milliers de Polonais sont retournés dans leur pays. Notre combat dépassait les origines, les religions et la couleur de peau.
On attendait le bilan
C’est dans ce cadre que je vais être le témoin du drame de Liévin. Quand il se produisait une catastrophe minière, il y avait toujours un membre de la CGT qui nous avertissait. Je l’ai appris par téléphone et je me suis rendu sur place de suite. On ne pouvait bien évidemment pas descendre dans le puits. C’était une attente insupportable. On attendait que le bilan soit établi. L’entretien du puits avait été négligé et le coup de poussière, qui amène le coup de grisou, a été terrible.
La tristesse s’est mue en colère
Le premier sentiment a été celui de la tristesse. Ceux qui descendaient, c’étaient nos camarades, nos frères, et tous les membres de la CGT avaient des parents au fond de la mine. Cette tristesse s’est transformée en colère. Nous voulions que la lumière soit faite. Après la catastrophe, les autorités ne nous ont pas reçus. La première chose à faire était d’organiser les funérailles. Valéry Giscard d’Estaing ne s’est même pas déplacé (seul le Premier ministre Jacques Chirac s’est rendu sur place, ndlr). Ils ont eu peur qu’il y ait une célébration funèbre collective. Ils ont plutôt réussi à ce que ne s’exprime pas trop violemment la colère. Mais elle était bien là.
L’enquête est confiée au juge Pascal. Il a visité la mine et on était sept ou huit à l’accompagner pour l’aider car il n’y connaissait rien aux fosses et aux mines. La société exploitante, les Charbonnages de France, n’avait pas fait le travail sur la sécurité en prévision de la fermeture annoncée de la mine. Ce n’était pas encore le début de la récession minière, mais ça a eu une incidence sur l’entretien des mines. Un puits qui allait être fermé n’était plus entretenu. Et ça a été le cas pour celui-ci, où les mesures de sécurité et d’hygiène n’ont pas été respectées. Ce qui explique que le coup de grisou a été aussi meurtrier. Au départ, seul le directeur du siège a été condamné. Or, lui, il appliquait seulement les directives de la direction. Les Charbonnages de France n’ont pas été condamnés directement car la justice ne pouvait pas juger la politique de fermeture des sites (le tribunal de Béthune condamnera finalement la société exploitante en 1981, ndlr). Nous nous sommes portés partie civile dans le procès.
Une indemnisation automatique
Dans la mesure où vous êtes victime d’un accident du travail, il y avait automatiquement une indemnité. Ce qui n’atténuait pas la douleur, mais ça aidait les familles à faire face. Aujourd’hui, il n’y a plus de mines, mais les questions d’hygiène et de sécurité au travail demeurent. Il faudra toujours lutter contre ces objectifs de productivité qui ne tiennent pas suffisamment compte des risques et conditions de travail.”
MAGAZINE FEVRIER 2018
Un livre : “LE JOUR D’AVANT”, DE SORJ CHALANDON (GRASSET)
Le romancier, et ancien rédacteur en chef de Libération, vient à peine d’intégrer le quotidien quand il est amené à traiter de la catastrophe de Liévin. Affecté, hanté par ce drame, il signe avec Le jour d’avant un roman captivant sur l’événement. Un personnage fictif, Michel Flavent, décide, après la mort de son frère pendant le coup de grisou de 1974, d’aller à Paris pour se venger de “ceux qui ont joué avec la vie des mineurs”.