Décès d’un chibani après un contrôle policier
Le Contexte :
Le 11 juin 2009, la ville d’Argenteuil (Val-d’Oise) est frappée par un drame. Ali Zidi, 69 ans, perd brutalement la vie. L’origine de son décès ? Un contrôle de police violent suivi d’une garde à vue aux conditions plus que douteuses. Pourtant, ce chibani est un monsieur sans histoires. Né à Ouled Rached en Algérie, Ali Ziri arrive à Argenteuil à l’âge de 19 ans. Il travaille comme manutentionnaire durant quarante ans, loin de ses proches. Au foyer Sonacotra, où il réside, le confort est sommaire : une chambre exiguë, un lit simple et une petite télévision. En 2005, le soixantenaire prend sa retraite et espère rentrer chez lui. Retrouver les siens. Mais, pour les chibanis, les règles sont claires : pas de pension si l’on ne réside pas en France. Ali Ziri enchaîne alors les allers-retours. C’est lors d’un de ses séjours en France qu’il rend son dernier souffle. Récit d’une bavure policière et d’une lutte acharnée pour la reconnaissance d’une injustice criante.
LE TEMOIN : AREZKI SEMACHE
Attablé au café Le Grand Cerf, face à la basilique Saint-Denys d’Argenteuil, Arezki Semache est perdu dans ses pensées. Il repense à Ali Ziri, qu’il connaissait de vue. Les deux hommes étaient originaires du même village. Il se souvient de cet appel reçu le 11 juin 2009. A l’époque, Arezki est journaliste. C’est Nacer, cousin d’Ali, qui lui apprend le décès et lui demande son aide. Commence alors une longue quête de vérité et de justice. Arezki crée un collectif puis organise une grande marche. A chaque bataille, Arezki est sur le front. Il devient aussi, en 2012, le grand-père du petit-fils d’Ali Ziri. Le destin a fait de lui un témoin cher aux yeux des militants de la cause, mais aussi des proches de la victime.
“La dernière fois qu’on l’a vu, c’était ici, au café du Grand Cerf. Il aimait bien cet endroit. Ali Ziri était très respecté à Argenteuil, tout le monde l’appelait ‘tonton Ali’. Un homme tranquille, généreux, serviable. Il devait revenir en France tous les six mois pour toucher sa retraite… Un chibani qu’on a pressé comme un citron et qu’on a ensuite jeté aux oubliettes !
En mai 2009, Ali est venu avec une idée en tête : trouver des cadeaux à son fils Rachid, qui devait se marier. Le 9 juin, il lui cherchait un jean. Il se rend donc au centre commercial et croise un vieil ami, Arezki Kerfali. Ils déjeunent au restaurant. Un repas arrosé. A 14 heures, ils repartent ensemble à la recherche du pantalon, puis reprennent quelques verres dans un bar. Ils finissent au Grand Cerf vers 19 heures et continuent de boire. A la fin de la soirée, Ali veut rentrer à pied. Mais son ami insiste pour le raccompagner en voiture. Ils sont suivis par la police (d’après les agents, le véhicule zigzaguait) et sont interpellés à l’angle de la rue Antonin-Georges-Belin et du boulevard Jeanne-d’Arc.
Victime de la technique du pliage
La situation dégénère tout de suite. Trois policiers, âgés entre 22 et 25 ans, sont sur place. Sans même lui demander ses papiers, ils violentent Arezki Kerfali, le mettent à terre. Ali veut s’interposer pour le défendre. Les agents les embarquent. Pourquoi tous les deux ? Ali n’était que passager et avait le droit d’être en état d’ébriété. Dans la voiture, les policiers utilisent la technique du pliage, consistant à coincer la tête de l’individu entre ses jambes tout en appuyant très fort sur son dos. Cette pratique est interdite en France depuis 2003 ! Vous imaginez ? Ils sont maintenus dans cette position durant tout le trajet jusqu’au poste de police. Sur place, un comité d’agents les attend. Ils tirent Ali par les pieds. Des images, extraites de l’enregistrement de la caméra du commissariat, en attestent. Ils traînent les deux hommes en cellule et les laissent par terre. Selon un témoin, Arezki a vomi et l’un des policiers s’est essuyé les pieds sur le visage d’Ali, après avoir marché dans le vomi.
27 hématomes sur le corps
En cellule, Ali tombe dans le coma. Les policiers emmènent les deux amis à l’hôpital. Après une prise de sang, Arezki est raccompagné au poste et Ali reste dans le couloir des urgences. Un médecin qui passait par là remarque son visage gris et donne l’alerte. Mais il décède le 11 juin au matin. Un arrêt cardiaque, selon la première conclusion de l’autopsie. Nacer, cousin d’Ali, prévenu par la police, constate cependant de nombreux hématomes sur son corps. Et une trace de chaussure sur son dos !
Arezki, libéré le 10 juin, n’est pas au courant de la situation. A son retour à la maison, sa femme est effarée de voir son visage tuméfié. Il apprend le décès de son ami le 11, quand la police le convoque au poste. Sa première réaction est de hurler : ‘C’est vous qui l’avez tué !’ Nacer, que je connaissais, m’a appelé pour tout me raconter. Comme j’étais journaliste, il espérait que je puisse les aider. On s’est réunis au foyer Sonacotra avec les militants et les élus locaux. Le 14 juin, on a créé le collectif Vérité et justice pour Ali Ziri. On a invité tous les médias mais un seul journaliste est venu. Un chibani qui meurt n’intéresse personne. Le 24 juin, on a appelé à une grande marche qui a rassemblé 1 500 personnes.
Le corps d’Ali a été transféré à l’Institut médico-légal. La directrice a fourni une contre-expertise contestant les premières conclusions. Elle a décompté 27 hématomes sur le corps d’Ali et a conclu à une mort par anoxie… directement liée au recours à la technique du pliage.
Depuis, nous lui rendons hommage tous les 10 juin à Argenteuil. Nous n’avons pas cessé de mener le combat devant la justice malgré le rejet du pourvoi en cassation en février 2016 au motif qu’il serait ‘impossible de retenir une cause certaine de la mort d’Ali Ziri’. Amnesty International nous soutient et condamne les méthodes violentes de la police. Notre dernière chance ? La Cour européenne des droits de l’homme. On vient d’introduire un recours et on attend avec espoir. La France doit donner des explications ! Comment un homme qui sort de chez lui en bonne santé peut-il mourir suite à une interpellation ? Ce genre de drame ne doit plus se reproduire. Les jeunes policiers sont sous pression. Ils méconnaissent leurs zones d’affectation, dites de non-droit. Ils ont peur, sont sur le qui-vive, réagissent de manière démesurée. On peut éviter de telles tragédies et favoriser le vivre-ensemble.
Un épilogue heureux
En attendant, pour quelque chose malheur est bon. En 2010, je suis retourné au village, en Algérie, et la famille d’Ali a souhaité me rencontrer, connaissant mon implication dans la cause. Ils ont aussi reçu mon fils lorsqu’il s’est rendu là-bas. Et de ce drame est née une belle histoire : mon fils est tombé amoureux de la fille d’Ali. Ils se sont fiancés en 2011 et vivent tous deux à Argenteuil aujourd’hui. Un an plus tard, le petit Adam est né. Je suis le grand-père du petit-fils d’Ali Ziri, à qui je raconterai tout un jour.”
MAGAZINE JUILLET-AOUT 2017