IIIe République, transition : les rêves de grandeur du président Kais Saïed

 IIIe République, transition : les rêves de grandeur du président Kais Saïed

Acculé par la crise politique, au pied du mur s’agissant d’engager une forme de dialogue national, le président de la République Kais Saïed a peut-être précocement dévoilé les contours de son ambitieux projet pour le pays, jusque-là entouré de mystère. Un chantier titanesque, qui lui garantirait de se maintenir au pouvoir pour au moins deux mandats, mais dont il est très peu probable qu’il dispose des moyens nécessaires à sa mise en œuvre.

« Entrons dans un dialogue sérieux, un dialogue sous forme de phase de transition qui préparerait à un autre dialogue autour d’un nouveau système politique et d’une véritable Constitution. Car l’actuelle Constitution a été conçue pour être parsemée de verrous. Or, les institutions ne sauraient être dirigées en présence de verrous et de deals suspects. Notre vision du dialogue est donc claire : il y a ceux qui y adhèrent, quant à ceux qui persistent dans leurs méthodes fallacieuses, soyez sûrs qu’ils trouveront pour issue les poubelles de l’Histoire… ».

Ces paroles sont celles du président Kais Saïed le 15 juin, au terme d’une longue allocution de 25 minutes, en réalité un monologue pour lequel a servi de prétexte une réunion avec trois anciens chefs de gouvernement ainsi que l’actuel locataire de la Kasbah, réunion censée être le prélude à un dialogue dont personne ne connaît encore les modalités.

En clair, le chef de l’Etat pense pouvoir effacer d’un revers de main, par le simple fait de sa parole ou de sa volonté individuelle, une décennie de transition démocratique, en engageant rien de moins qu’une nouvelle constituante.

 

Défiance à l’égard des partis et institutions en place

Ce projet pharaonique, « délirant » pour certains, égrené le plus sérieusement du monde par Kais Saïed, peut-il trouver l’adhésion ne serait-ce que d’une partie des institutions censées l’enclencher dans un futur proche ? Le président n’en a cure : en qualifiant dans cette même allocution le précédent dialogue national de 2013 de « non dialogue » et de « non patriote », il a ajoute de facto cette étape fondatrice, pourtant auréolée du Prix Nobel de la paix, à la longue liste de ce qu’il méprise. Liste en haut de laquelle figure en bonne place le Parlement et plus généralement les partis et la démocratie représentative.

Côté UGTT, la réponse n’a pas tardé : ayant co-présidé le dialogue national et nobélisé en cela en 2015, la centrale syndicale a vivement condamné les propos du président de la République qu’elle considère comme un revirement, de fait, s’agissant de l’actuelle initiative de dialogue proposée par l’UGTT, ainsi qu’une « diabolisation continue des grandes organisations nationales et des partis politiques ». Le syndicat historique ajoute ainsi une pierre à l’édifice de l’isolement que le Palais de Carthage s’est lui-même assigné.

Pour qui n’en est pas encore convaincu, un autre épisode passé quasiment inaperçu est venu corroborer les contours du tournant autocratique que prend la mandature présidentielle. Pour avoir publié sur Facebook une image truquée satirique mettant en scène Kais Saïed faisant la prière au pied de l’aéroport Tunis – Carthage, le blogueur Mohamed Ali Louzir a écopé de trois mois de prison ferme, jugé par le Tribunal militaire. Le même sort attend l’activiste Slim Jebali qui a comparu pour des faits similaires lors d’une première audience au Tribunal militaire du Kef.

 

Jouer la montre

Il semble clair aujourd’hui, une fois connues les grandes lignes des desseins présidentiels, que le temps qui passe arrange le chef de l’Etat. Ce dernier se sait toujours relativement populaire dans les sondages.

S’il parvient à se maintenir à un tel niveau de popularité en 2024, année de campagne électorale pour la présidentielle, il pourrait alors potentiellement tenter un passage en force en vue d’assoir un régime similaire à l’ex « jamahiria » libyenne, sorte de présidentialisme drapé en démocratie participative directe, régie pas le bas via des chefs de comités de délégations auxquels il est possible de retirer leur mandat à tout moment.

Entre-temps, il s’agit de jouer l’obstruction tous azimuts, pour mieux apparaître comme le dirigeant vertueux que « le système », cette main invisible pilotant un complot et des tentatives d’assassinat jamais prouvées, n’aurait pas laissé travailler. La ficelle est grosse, mais on ne change pas un populisme qui gagne.

Pour l’universitaire spécialiste en droit constitutionnel Salsabil Klibi, qui réagissait le 16 juin à ces récents développements, il n’est pas possible de parler d’amendement de la Constitution de 2014, en l’absence de Cour constitutionnelle.

« Abandonner la constitution pour aller, comme le propose le chef de l’Etat, vers un modèle transitoire représente un danger pour le pays. D’abord car se posera la question de la légitimité d’un tel processus, ensuite celle de la garantie du succès de la prochaine étape qui reste conditionné par un consensus général ce qui n’est pas gagné ».

Concernant enfin l’éventualité d’un referendum pour l’amendement de la Constitution, l’enseignante a souligné que le blocage demeure entier, le recours à cette option restant tributaire de l’accord du Parlement.

 

>> Lire aussi : Point de vue – Tunisie. « A la recherche du temps perdu »