Redouanne Harjane : « Monter sur scène, c’est un acte politique »
On ne rit pas bêtement avec Redouanne Harjane ! Pour capter les fulgurances de cet observateur brillant, “Arlequin” à la folie douce, le cerveau se doit d’être toujours en éveil. Rencontre avec un humoriste pas comme les autres, également musicien et acteur de talent, repéré cette année par le comité Révélations de l’Académie des César.
Vous êtes né à Metz (Lorraine), d’un père casaoui et d’une mère algérienne, de Tlemcen. Finalement, vous parlez peu de vos racines…
Je suis d’abord messin, de la “Génération grenat” (en référence au groupe de supporters du FC Metz, ndlr), mais aussi lorrain, français, marocain, algérien. En réalité, je suis humain avant tout. Mon grand-père maternel, un Algérien immigré en Lorraine, a travaillé dans la sidérurgie. Ma mère et mon frère vivent toujours là-bas. Je viens de la banlieue d’une ville de province. Ce qui n’était pas déplaisant, et même si d’autres avaient plus que nous, nous ne manquions de rien ! Il y avait de l’insouciance et en même temps la réalité d’une certaine précarité sociale.
Sur scène, vous jouez souvent de la guitare. Vous vous destiniez plutôt à une carrière musicale qu’au one-man show ?
Mon grand frère organisait des concerts de punk rock. J’écoutais ses vinyles, du ska, du punk rock et aussi du jazz. Un jour, un de ses amis a laissé une guitare à la maison. Il n’est jamais venu la récupérer. J’en ai profité pour apprendre à jouer, mais j’ai vite rencontré mes limites d’instrumentiste. La musique a été l’élément déclencheur de mon choix pour le théâtre, de la dimension artistique qui se révélait à moi, comme une sorte de lâcher-prise. A Metz, au collège, j’étais déjà membre d’une petite troupe de théâtre, Les Trinitaires. J’avais une professeur extraordinaire, Danièle, une grande dame aujourd’hui disparue, et à qui je pense très souvent. Ensuite, je suis rentré au conservatoire régional de Metz.
Pourquoi ce choix de l’humour ?
Les gens me définissent comme un humoriste. Ce n’est pas faire rire qui m’intéresse. Je cherche à déranger, à perturber, à faire réfléchir. Je veux apporter du sens dans la légèreté. Au départ, je souhaitais jouer des classiques, de grands auteurs. J’aurais adoré faire partie d’une troupe, et qu’un directeur pense à moi en tant que nouveau Néron dans Britannicus, de Racine. Mais, quand on vit dans une chambre de bonne de 7 mètres carrés, du côté de la gare du Nord, il y a un moment où il faut manger. On travaille alors dans des cafés où l’on survit en tant que plongeur ou barman. Je viens de l’école des scènes ouvertes. Je me suis pris un bide. Je n’avais pas confiance en moi, en mon écriture, en mon jeu. Je donnais trop d’importance au regard des autres. Aujourd’hui, je n’ai plus peur d’être ce que je suis.
Vous êtes passionné de jazz, en particulier d’impro, et il y a une musicalité dans votre humour. Est-ce lié ?
C’est l’un des plus beaux compliments qu’on puisse me faire, à savoir que mon spectacle ressemble à une partition. Quand on est enfant, on se sent parfois incompris. Du coup, on veut écrire son propre langage, un peu comme les grands jazzmen. J’aime offrir la possibilité aux gens de se jouer du prisme de la réalité. La scène reste le seul endroit au monde où l’on ne peut pas tricher.
Vous n’abordez pas les questions politiques, religieuses ou communautaires…
Je ne me censure pas. J’ai grandi dans une famille très politisée : mon frère était militant associatif, et mon grand-père a été condamné pendant la guerre d’Algérie. Ça fait partie de moi. Quand je monte sur scène, je suis la somme de ce passé-là. Je ne le nie pas, mais il faut aller de l’avant. La politique, c’est quoi aujourd’hui ? Monter sur scène, c’est déjà un acte politique en soi, encore plus si tu as des choses à dire.
Quelles sont vos références en humour ? Plutôt françaises ou américaines ?
Les deux. J’aime beaucoup Steven Wright (acteur de stand-up américain, ndlr). Il n’a pas peur du silence. On sous-estime la puissance de ce dernier. C’est pour ça que, musicalement, pour moi, c’est terrible d’écouter de l’électro ou de la techno, car il n’y a pas de place pour le silence. Côté humour français, il y a quand même des références incontournables, comme Raymond Devos, qui mêlait musique, mime, conte et jonglerie des mots avec charisme.
Vous remontez sur scène en février avec un nouveau spectacle, “Redouanne est Harjane”. Quel en est le fil rouge ?
Des observations sur la vie. J’aime aborder ce thème, car dans la vie, il y a la mort aussi. Le spectacle est plus mature. J’assume le regard de mon personnage sur le monde. Je parle de mon arrivée à Paris, de mon quotidien dans un appartement minuscule, de la difficulté de bien se nourrir, de la dictature du corps… D’ailleurs, la diététique m’obsède toujours. Si vous voyiez toutes les barres de chocolat et les bonbons qu’on nous donne au théâtre avant les représentations ! A croire qu’on veut nous faire crever ! Donnez-nous des fruits et des légumes svp (rires) ! Plus sérieusement, en ce moment, j’ai pris du muscle pour un futur rôle au cinéma.
Justement, vous avez réussi une surprenante performance d’acteur dans “M”, le premier film de Sara Forestier, pour lequel vous avez été repéré par le comité Révélations de l’Académie des César… Une reconversion en vue ?
J’ai accepté ce rôle parce qu’on m’a assuré que j’allais très vite devenir une star (rires). Après, je me suis vite rendu compte du boulot qu’il y avait derrière un rôle au cinéma. Au final, c’est le scénario qui m’a convaincu. Bien écrit, avec une psychologie des personnages, des émotions et porteur d’un vrai discours. Sara Forestier a imaginé mon personnage en guerre contre la société, mais sans le voir calibrer à un feu rouge ou monter au braquo. C’est l’amour qui le sauve et j’ai aimé ce contrepied. Je voulais montrer la force des sentiments. Pour la suite de ce volet de ma carrière, je n’irai que vers de beaux films, avec des réalisateurs et réalisatrices qui portent un vrai regard sur notre société, et qui ont envie que ce monde chaotique aille mieux.
REDOUANNE EST HARJANE, du 11 février au 26 mars au Studio des Champs-Elysées, 15, avenue Montaigne, Paris VIIIe.
MAGAZINE FEVRIER 2018