Haroun : « Le rire est un moyen, pas une fin en soi »

 Haroun : « Le rire est un moyen, pas une fin en soi »

Crédit photo : Ben Dauchez


MAGAZINE DECEMBRE 2017


Comparé à Pierre Desproges ou à Coluche (son idole), l’humoriste, passé par le Jamel Comedy Club, remplit les salles avec un spectacle hilarant, donnant à réfléchir. Rencontre avec celui que d’aucuns surnomment le “Calife du pince-sans-rire”.


Il y a une part de mystère sur vos origines. Vous êtes un ­Français d’origine francilienne, de Bures-sur-Yvette, dans l’Essonne. Cela vous convient comme présentation ?


Je pense qu’on a renoncé à me coller une image particulière. J’ai l’impression d’être entre plusieurs mondes. Je comprends qu’on me questionne sur mes origines mais j’ai aussi envie de pouvoir revendiquer qu’on accorde moins d’importance à cette question en général. C’est également une manière de se ­libérer des a priori.


 


Comment commence-t-on une carrière d’humoriste ?


Par passion. J’y ai pensé lorsque je regardais les premiers ­programmes humoristiques en vidéo, ou que j’écoutais les premiers enregistrements audio de Coluche. ­J’aimais qu’on puisse transmettre des idées marquantes par le rire. A partir de ce moment-là, j’ai développé une affinité avec l’humour. J’ai fait des études de commerce parce que je ne savais pas quoi faire d’autre. C’est une filière assez générale et j’étais plutôt à l’aise. Je me suis dit, autant continuer. C’est à cette époque que j’ai ­découvert l’impro et, sincèrement, en école de commerce, on a du temps pour faire autre chose. Je n’étais pas le cancre du fond de la classe qui fait marrer tout le monde. L’humour m’a permis d’évoluer assez facilement dans les différents groupes qui peuvent se créer quand on est jeune et de pouvoir m’intégrer avec des blagues ou des mots d’esprit. Au final, je m’y suis mis pleinement en 2013.


 


Vous avez fait un tour du monde, avec des escales en Amérique du Sud, en Océanie, en Asie et en Europe. Cela vous ­a-t-il aidé à aiguiser vos talents d’observateur ?


Ça y a contribué, mais ce n’est pas parce qu’on aime l’observation qu’on voyage. Ça n’est pas le voyage qui nous rend observateur, mais le contraire. Cette expérience m’a permis de prendre conscience qu’on n’est pas si mal en France. Souvent, on s’en plaint, mais quand on rentre, on se dit : on a des routes goudronnées, des trains… plein de choses basiques, comme de l’eau qui coule dans le robinet, qui, d’un coup, paraissent géniales. Je suis ­revenu avec une vision hyper positive de la vie. On se rend compte qu’il y a des problèmes universels chez les êtres humains, qui touchent au quotidien. On n’a pas tellement changé avec la modernité. Les besoins sont toujours les mêmes (nourriture, logement, ­famille…). L’humour est universel. Tout ­dépend de comment on amène les choses et quelles références on a, mais on peut rire ­ensemble avec des gens qui n’ont rien à voir avec nous.


 


Vos idoles sont Coluche, Pierre Desproges ou le britannique Ricky Gervais. Ils s’attaquent souvent à des sujets de société sensibles. C’est pour cela que vous les aimez ?


Je considère le rire comme un moyen et pas comme une fin. L’humour est une façon de communiquer, ça n’est pas un but en soi. J’ai besoin qu’un programme humoristique me dise autre chose, et qu’il ne se contente pas de me faire rire purement et simplement. Quand cela devient un métier, il faut apporter quelque chose d’autre. C’est un peu comme trouver des “idées fortes” au cinéma, celles qui vous donnent le sentiment d’avoir appris quelque chose au moment du générique de fin.


 


Pourquoi parlez-vous de politique dans votre spectacle ?


J’aime parler de la politique en général, de l’activité politique. Je ne suis pas très axé sur l’actualité des hommes politiques. Ce qui m’intéresse, ce sont les grands sujets de notre société, donc des sujets qui sont politiques.


 


Vous êtes un peu l’humoriste de la génération Y qui se questionne sur des sujets graves (racisme, environnement…), mais qui lutte surtout sur les réseaux sociaux. Est-ce que vous vous sentez “l’âme” d’un éclaireur ?


Non, je ne pense pas en être un. Les éclaireurs sont plutôt les lanceurs d’alerte, les journalistes d’investigation. Quand je vois ce qui est fait par ailleurs, je suis modestement celui qui essaye de dire “Hé ! Il y a des choses qui existent. On en rigole mais en sortant de la salle, j’espère que vous allez voir plus précisément de quoi on parle.” Je me sens concerné par le futur, par la modernisation de notre société, la géopolitique, le racisme, l’écologie et surtout l’hypocrisie. C’est un thème qui revient souvent dans le spectacle. On pense agir mais dans nos actes, on n’est pas si intègres que ça. C’est souvent le cas et j’aime bien faire ça. On est tous un peu hypocrites (et je parle aussi pour moi) et il faut arriver à vivre avec. Ça me permet de m’interroger. Il y a plein de choses que je ne fais pas. Je n’ai pas envie de pointer du doigt des responsables.


 


Votre spectacle peut paraître noir parfois avec, par exemple, cette question sur la fin du monde. Peut-on rire de la mort ?


Bien sûr, il le faut ! Le rire permet de mettre une émotion sur des sujets et donc d’ouvrir le dialogue. Dès lors qu’on a vécu quelque chose, on se dit qu’on peut en parler plus ouvertement. Regarder la mort en riant permet de se poser les questions sur sa propre peur de la fin de vie. C’est un moment d’improvisation dans le spectacle et j’adore l’imprévisibilité des spectateurs. Ce sujet touche à la philosophie, à ce qui est vraiment important dans la vie. On dépasse sa condition d’humain venu en métro au théâtre. On est dans quelque chose de transcendant.


 


Il y a un paradoxe dans votre parcours. Vous êtes un spécialiste du breakdance et pourtant, vous êtes statique lors de votre spectacle, à la manière des stand-upers new-yorkais.


(Rires) Je ne suis pas spécialiste du breakdance mais j’en ai fait, en effet. Je n’ai pas approfondi. Ce n’est pas un paradoxe. C’est assez dur de rester immobile sur scène, d’être dans l’économie de mouvements. Quand on parle, on a envie de bouger mais avec le metteur en scène, on a décidé que les gestes qui sortent sur certaines vannes devaient contribuer à apporter quelque chose. Plus qu’un paradoxe, c’est une grande conscience de l’importance d’un mouvement qui fait que je reste immobile la plupart du temps. Il y a aussi une volonté de s’attarder sur les mots. Cela fait partie du personnage que j’ai créé, peu mobile, avec des petites ­lunettes, à la limite de la ­timidité, mais pas complètement.


 


Dans votre spectacle, vous dites que vous êtes une “semi-célébrité”. Qu’est-ce que ça fait d’être une “semi-célébrité” ?


C’est une hypocrisie de dire qu’on n’a pas envie de la célébrité. Quand on fait ce métier, on veut que la salle soit remplie et il faut accepter d’être célèbre. On joue avec ça. Ce qui me fait marrer, c’est le “presque”, de mettre de la nuance là où il n’y en a pas. Un peu comme si je disais “j’ai pas trop voté pour Marine Le Pen !”  


 


HAROUN, jusqu’au 28 janvier au théâtre Le République, 1, boulevard Saint-Martin, Paris IIIe