24 heures avec un commissaire de police
Aujourd’hui, c’est à Versailles qu’il opère, mais pendant plus de vingt-cinq ans, Olivier Bonnefond a officié dans les quartiers sensibles de la région parisienne, et notamment à Gennevilliers. Reconnu pour son efficacité, sa connaissance du terrain et surtout des gens, il nous fait partager ce qui fut son quotidien dans cette commune qu’il a marqué de son empreinte durant six ans.
7 h : Réveil. Le commissaire Bonnefond prend connaissance des échanges de ses hommes sur le terrain. “Si ça chauffe, je fonce sur place”, dit-il. Si sa journée commence officiellement à 9 heures, lui ne décroche jamais. Il emporte sa radio chez lui et reste branché sur les ondes 24 heures/24. Vols, agressions mais surtout misère sociale représentent le quotidien de ces policiers. Oliver Bonnefond est un homme de terrain. Pas question pour lui d’attendre derrière son bureau “que ses hommes fassent le boulot”. A peine habillé, il place son arme à la ceinture et saisit un sac à dos noir. A l’intérieur : une lampe torche, des menottes et deux garrots. “C’est pour les blessés par balle par exemple. Ça tient tout seul une fois posé ; du coup, ça me permet de m’occuper d’une autre victime. Avec ça, je peux sauver trois personnes”. Après les attentats, le commissaire a demandé à ses hommes de s’équiper à leurs frais de ces garrots “tourniquets”. “Une dizaine d’euros, c’est pas cher pour sauver des vies !” Ce matin, c’est plutôt calme sur la radio.
9 h : Il arrive dans son ancien commissariat à Gennevilliers, souriant. Il a une blague ou une attention pour chacun. On le salue sur son passage. Plus qu’un commissaire, on sent que c’est aussi un homme qui est aimé par ses équipes. Un policier s’approche de nous, comme pour le confirmer : “Je n’ai rien à gagner à le dire, mais ce commissaire, c’est le meilleur. Une personnalité hors norme.” Il faut dire qu’Olivier Bonnefond a du charisme, toujours le sourire aux lèvres et la langue pas dans sa poche. Il aime les gens et ils le lui rendent bien. A chaque intervention, il est chaleureusement accueilli.
11 h : Réunion avec les supérieurs. Le commissaire s’y rend “parce qu’il le faut…” En général, on y prépare des services d’ordre pour les déplacements des politiques.
12 h : Il repart en voiture pour aller déjeuner au Québec Café, une institution à Gennevilliers où il avait ses habitudes. C’est l’occasion aussi de rendre visite à des commerçants de la ville. Là, une fâcheuse nouvelle l’attend. Le gérant lui apprend que la mairie l’a exproprié et qu’après plus de vingt ans, il ferme son commerce. Le commissaire, surpris, tente de réconforter le restaurateur. Il lui adresse un sourire compatissant et une poignée de main chaleureuse. Et s’en va d’un pas décidé, comme pour chasser la déception que trahit son visage.
13 h : Dès son retour dans la voiture, la radio signale un problème dans une zone stratégique de la ville. La CGT empêcherait l’entrée des camions au port de Gennevilliers. Le commissaire s’y rend “au cas où la situation commencerait à chauffer”. Arrivé sur place, il ne constate aucun blocage. Un groupe de grévistes attend calmement sur le trottoir. La patrouille vérifie que “tout est en ordre” et repart. “Peut-être qu’ils commençaient effectivement à s’agiter et se sont calmés avant notre arrivée, ou alors peut-être qu’une entreprise mécontente a lancé cet appel bidon pour qu’on vienne… allez savoir !” analyse Olivier Bonnefond, désabusé. D’un air grave, il se tourne vers un pont, situé à 10 mètres des grévistes : “Ici on a des suicides. Les mecs se garent sur l’A15 et se jettent dans le vide. Ils finissent ici.” Son doigt pointe le lieu sinistre où se termine leur chute : le panneau indique une entreprise de déchetterie. “C’est triste… ” Chaque quartier de la ville éveille en lui son lot de souvenirs, plus ou moins noirs. Soudain, son téléphone le rappelle à l’ordre. C’est un flic qui lui envoie un message : “Il est à bout, je l’épaule pour ne pas qu’il sombre.” Car le métier est exigeant : les horaires décalés et la pression du terrain pèsent sur certains. “Si on ne veut pas travailler les week-ends, on change de métier”, souligne le commissaire. Retour au quartier du Luth, où Olivier Bonnefond a fait baisser la délinquance de moitié.
15 h : Le long de la N315, une centaine de baraques de Roms est sortie de terre. “En six mois, regardez ça ! s’exclame Olivier Bonnefond. Pourquoi les habitants des quartiers populaires devraient subir leur présence quand dans des quartiers chics on les aurait expulsés. Pour ma part, à la première baraque, je déloge. Je fais ce métier pour combattre l’injustice que je côtoie au quotidien.”
16 h : Retour au commissariat. Le métier exige de rendre des comptes quotidiennement auprès de la hiérarchie. “Je privilégie l’échange par mails avec les partenaires. Je peux ainsi avoir des retours précis après l’intervention des gars et apprendre de la plume des citoyens quand l’action de police a été mal calibrée ou mal menée. Des ‘sentinelles de la République’ m’informent de problèmes, souvent avant que l’institution policière elle-même soit au courant. Je reçois par exemple des parents qui se plaignent de violences policières lors des contrôles, et j’étudie la solution à apporter. Il m’arrive régulièrement de conseiller à une mère de famille de veiller aux fréquentations de son fils, en lui expliquant que moi, de mon côté, je me chargerai de mes policiers s’ils ont mal agi.” Pour Olivier Bonnefond, “être un patron classique”, c’est-à-dire rester dans son bureau le plus clair de la journée, traiter les mails, les appels téléphoniques, les courriers, c’est “prendre le risque de se couper peu à peu des troupes et d’en arriver à ne plus connaître les gars qui font le boulot sur le terrain”. Lui a fait le choix de sortir de son bureau “pour coller à la population et aux policiers engagés dans les missions quotidiennes”. Il avoue faire l’impasse, si nécessaire, sur les mails et les coups de fil au bureau. Son équipe du commissariat les traite pendant que lui, le patron, est dehors. “Le fait que je sois connu dans la ville présente un avantage, tant pour les partenaires locaux que pour les habitants. Et les autorités de tutelle sont très sensibles au fait que le commissaire soit un personnage de référence dans l’esprit des élus et des habitants.”
19 h : Fin de la journée officielle du commissaire. Il salue son équipe et donne les dernières instructions avant de rentrer chez lui. A peine installé en voiture, il allume sa radio et son téléphone de service auxquels il restera connecté jusqu’au lendemain matin. “Certains éteignent leur téléphone une fois chez eux, raille-t-il. Moi je suis commissaire 24 heures/24.”