« Nous sommes des soldats dans une guerre, et à sa fin, on nous oubliera »

 « Nous sommes des soldats dans une guerre, et à sa fin, on nous oubliera »

Hind


Hind, 33 ans,  est infirmière à l’hôpital de Longjumeau, en région parisienne, l’une des plus touchées par la pandémie actuelle. C’est dans cet établissement qu’avait été admise la première adolescente française à succomber au covid-19. 


Habituellement, Hind travaille à l’hôpital de jour, mais depuis la crise sanitaire, ce service a été fermé et elle est donc affectée aux urgences. En moins d’une heure trente, elle a reçu une formation accélérée incluant les gestes lui permettant d’assister le réanimateur à endormir les patients pour les ventiler et les intuber.


« A Mulhouse, ils n’ont pas vu venir la vague. Contrairement à eux, nous avons été en mesure d’anticiper en réorganisant tout l’hôpital. Les malades en chimiothérapie et donc immunodéprimés ont pu être transférés loin du service covid par exemple», tempère-t-elle. « Et quand nous avons manqué de solution hydro-alcoolique, la pharmacie de l’hôpital a pu prendre la relève et en fabriquer ».


Le plus éprouvant pour cette trentenaire en poste depuis dix ans ? « Voir les gens mourir, combien même il s’agit de personnes âgées. Et puis, il y a des jeunes aussi qui décèdent. C’est dur de voir un jeune papa de 31 ans mourir alors qu’il n’avait aucun antécédent particulier. Nous avons eu aussi le décès d’une adolescente de 16 ans, les infirmières qui s’occupaient d’elle ont dû être prises en charge par la psy. Elles étaient en pleurs de voir sa mère, présente dans le couloir derrière la fenêtre mais qui ne pouvait pas lui dire adieu, alors que la jeune fille était en train de mourir. C’est interdit, on ne peut laisser entrer personne. Les infirmières de pédiatrie l’ont très mal vécu. »


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Si Hind n’a aucune idée du nombre de décès déplorés dans l’hôpital où elle travaille, elle n’est pas près d’oublier ceux, pas si âgés, qui ont dû être transférés en réanimation, et encore moins ceux auprès desquels elle s’est tenue quand ils rendaient leur dernier soupir. « Il y a un papy de 78 ans. Le genre de monsieur qui voulait checker quand la première fois, je lui ai tendu la main pour le saluer…. Sa femme était décédée une semaine plus tôt du covid. Il était lui-même très agité et avait du mal à garder son masque. J’essayais de le lui remettre. Il m’a dit en marmonnant « ne vous inquiétez pas. Je vais la rejoindre ». Le lendemain, il était parti ».


Un motif de satisfaction malgré tout dans cette ambiance pesante ? « Nous sommes présents auprès des malades. Bien entendu, nous ne pouvons pas remplacer les proches mais on contribue à rendre ces moments moins pénibles. Et entre collègues, nous faisons encore plus attention les uns aux autres ».


La plus grande crainte de cette infirmière n’est pas de tomber malade mais de contaminer ses proches en étant porteur sain et sans s’en apercevoir. « J’ai peur pour ma fille. Les enfants de mes collègues toussent ou ont une forte fièvre, mais faute de dépistage on ne peut pas poser de diagnostic sûr, mais on se pose des questions ».


Si elle est touchée par les applaudissements de ceux qui se mettent le soir à 20h à leur fenêtre, elle ne sait que penser de ceux qui sortent pour courir ou promènent leur chien dix fois par jour. « C’est de l’inconscience ou de l’incontinence ? », interroge-t-elle abasourdie.


Et du gouvernement, qu’espère-t-elle ? « Nous attendons ce que nous attendions avant cette crise. Une véritable reconnaissance qui passe par la revalorisation de nos salaires, des moyens supplémentaires. Idéalement, on devrait obtenir tout cela sans avoir à descendre dans la rue, une fois le retour au calme. Mais nous sommes dans une guerre, et à sa fin, on oubliera les soldats morts », pronostique-t-elle.