Hannibal Kadhafi : Quand la vengeance remplace la justice

 Hannibal Kadhafi : Quand la vengeance remplace la justice

Hannibal Gaddafi (in 2005) has been in prison in Beirut since 2015. MORTEN JUHL / SCANPIX DENMARK / AFP

Les arabes ont-ils l’exclusivité de la vengeance ? Bien sûr que non, même si nous avons tous en mémoire l’histoire de la guerre d’El Bassouss, de 494 à 534 où deux tribus d’Arabie : les Bakr et les Taghlib se sont exterminés quand la chamelle d’El Bassous, a été tuée par mégarde par Koulaïb Wa’il, un seigneur Banu Taghlib.

Mais l’histoire de Hannibal Kadhafi, croupissant dans les cachots de Beyrouth depuis 2015, ressemble étrangement à une histoire de vengeance qui ne dit pas son nom. A défaut de juger Mouammar Kadhafi, assassiné dans des conditions obscures par les « agents de Sarkozy », on s’est rabattu sur le fils sans motif juridique valable.

Le crime ? Le rejeton du Guide suprême libyen paye (aujourd’hui) pour la disparition (hier) de Moussa Sadr, chef spirituel de la communauté chiite libanaise et fondateur du mouvement Amal, un parti aujourd’hui dirigé par Nabih Berri, le président du Parlement.

Véritable martyr de la mouvance chiite, Moussa Sadr a semble-t-il été tué en compagnie de deux de ses compagnons lors d’un séjour au sein de la capitale libyenne en 1978. S’il est clair que le colonel Kadhafi est le responsable numéro 1 de cette disparition, Hannibal ne saurait être poursuivi pour un meurtre commis par les sbires de son père au moment où il avait 2 ans. « Il se dit victime d’un déni de justice », a confié au Figaro son avocat Paul Romanos.

On peut ne pas avoir de sympathie pour le gosse de riche, célèbre pour ses violences contre les femmes et ses virées avec grands fracas dans les boîtes huppées des capitales européennes, où il jetait l’argent volé des Libyens par les fenêtres, mais cela ne justifie pas le kidnapping de l’homme avant d’être transféré dans des conditions indignes au Liban, au moment où Damas lui avait accordé le statut de réfugié.

Faudrait-il voir la main de Hassan Nasrallah derrière cet enlèvement rocambolesque ? Surtout qu’à mesure qu’il apparait clairement que la Justice est instrumentalisée, le bras de fer entre la Syrie d’El Assad et les autorités libanaises, l’affaire Hannibal Kadhafi est devenue un point de friction entre les deux pays, l’ambassadeur syrien au Liban, « exigeant même sa libération et son retour en Syrie dans les plus brefs délais » !

Dans les coulisses, les nouveaux maîtres de la Libye s’activent aussi pour le récupérer. Pour quelle raison ? Les islamistes libyens, par la voix autorisée de leur chef Abdelhakim Belhaj auquel Kadhafi a mené la vie dure réclament désormais la tête du fils pour se venger du père !

S’il est vrai qu’il n’est pas juste d’essentialiser les peuples et qu’après tout, un George W. Bush qui se vantait publiquement de s’être vengé de Saddam Hussein n’a pas de sang arabe dans les veines, mais force est de constater que partout dans le monde arabe, la justice n’est jamais vraiment juste et que même au niveau le plus élevé de la politique, la vengeance a remplacé la justice.

Dans les pays arabes, combien de journalistes (pour ne prendre que cet exemple) sont-ils incarcérés pour des peines lourdes sans motifs valables juste parce qu’ils ont osé critiquer « un petit chef » alors qu’ils sont carrément découpés à la tronçonneuse quand ils remettent en question la légitimité « du grand chef » !

Pourtant depuis Rousseau, nous savons que « le plus fort n’est jamais assez fort pour être le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. » La force qui conduit à la vengeance est une faiblesse. La force véritable tient sa légitimité de ce qui est juste, et seule la justice constitue le pouvoir judiciaire de l’institution étatique, qui est le contraire de la vengeance, affaire d’un ou d’un groupe d’hommes.

Pourtant dans nos contrées, la justice a du mal à être considérée comme le pouvoir de faire respecter le droit et l’exercice de ce pouvoir, ou alors peut être perçue comme vertu morale de celui qui reconnaît les mérites et respecte les droits de chacun.

C’est dans ce sens que le philosophe Francis Bacon a raison de souligner que la vengeance n’est qu’une sorte de justice sauvage et barbare, « plus elle est naturelle, plus les lois doivent prendre peine à l’extirper. Car, à la vérité, la première injure offense la loi, mais la vengeance semble la destituer tout-à-fait et se mettre à sa place. Au fond, en se vengeant, on n’est tout au plus que l’égal de son ennemi ».