Germinal, et une pauvreté accrue par la crise sanitaire

 Germinal, et une pauvreté accrue par la crise sanitaire

Germinal, c’est le rugissement du ventre vide et la régurgitation de l’injustice sociale. Publié en 1885, le chef-d’oeuvre d’Emile Zola peut aisément trouver des échos dans la profusion des contestations sociales, historiques ou contemporaines, nées des maux de la faim. La crise sanitaire que l’on vivons tous aujourd’hui a engendré une crise économique d’une ampleur jamais atteinte depuis des générations, plongeant dans l’extrême-pauvreté des millions de personnes et faisant basculer dans la pauvreté des millions d’autres. Le Covid a montré les failles de nos modèles socio-économiques qui doivent faire l’objet de réformes, afin que les germes d’un monde nouveau puissent fleurir, sans qu’il soit nécessaire de passer par des révolutions de peuples qui ont faim. 

Le titre qu’a choisi Zola pour son ouvrage n’est pas anodin. Germinal désignait le mois d’avril dans le calendrier révolutionnaire. C’est le 12 germinal an III (1er avril 1795), que le peuple français, affamé, envahit la Convention pour réclamer du pain. Si l’on devait résumer Germinal en une phrase, elle serait : c’est l’histoire d’un peuple ouvrier exploité par le Capital, plongé dans la misère, qui se soulève pour réclamer justice, et qui, malgré sa mise en échec, porte en lui les germes de transformations sociales, et l’avènement d’un monde nouveau.

Quand ce n’est pas le chômage, c’est quand même la misère

« Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour ». Etienne Lantier vient d’être viré de son emploi. Il erre à la recherche d’un travail lorsqu’il parvient à se faire embaucher dans une mine au Nord de la France, dans lequel la fosse du Voreux, puit d’extraction de charbon, cette « bête méchante », a « l’air gêné par sa digestion pénible de chair humaine ». Mais les miniers, eux, ont la plus grande peine à se nourrir. Et la seule chose que le vieux Maheu ait l’opportunité de cracher, c’est le charbon qui s’est emmagasiné dans ses poumons depuis qu’il travaille à la fosse, depuis ses huit ans. 

C’est donc à la Compagnie des mines de Montsou, où « il y en a de l’argent ! », que Lantier fait la connaissance de la famille Maheu, qui en sont à leur « cent six ans d’abattage, les mioches après les vieux, pour le même patron », « un dieu repu et accroupi, auquel ils donnaient tous leur chair, et qu’ils n’avaient jamais vu ». Le jeune Etienne est désormais confronté à l’horreur d’un monde plongé dans la misère, un monde dominé par la faim, le froid, la fatigue, un monde dans lequel dix personnes vivent dans deux pièces, où les visages sont « d’une pâleur livide », . Mais « tant qu’on a du pain à manger, on peut vivre », mais « si l’on mangeait toujours du pain, ça serait trop beau ! ». Chez les bourgeois, qui tirent une rente de la mine, la brioche est dans le four, et le chocolat est fumant. Dans Germinal, Zola pousse la satire sociale jusque dans la prétendue charité de cette classe sociale : lorsque les Grégoire refusent une aumône à la Maheude sur la base de principes qui révèlent ce qu’ils pensent des mineurs : ils boivent, font des dettes, et ont trop d’enfants. 

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Etienne Lantier, symbole d’une prise de conscience

Indigné par les conditions de vie et de travail exécrables des miniers, Etienne Lantier se fera le porte-parole de leur souffrance. Lorsque la Compagnie des mines invoquera la crise économique pour justifier la baisse des salaires, la révolte du jeune homme atteindra son paroxysme. Il commence à prêcher des idées révolutionnaires et incite les mineurs à faire la grève. À la soumission s’est substituée la rage. Une rage née de la faim, de l’injustice, et de la frustration qui en découle : À présent, le mineur s’éveillait au fond, germait dans la terre  ainsi qu’une vraie graine ; et l’on verrait un matin ce qu’il pousserait au beau milieu des champs : oui, il pousserait des hommes, une armée d’hommes qui rétabliraient la justice ». 

Les semaines passent et les grévistes s’enflamment aux cris de « Du pain ! Du pain ! ». Mais bientôt, Etienne apprendra que la Compagnie envisage de licencier les ouvriers les plus impliqués dans la grève et que certains hommes sont prêts à reprendre le travail. Les événements s’enchaînent de manière dramatique. La lutte des classes est sauvage. Etienne Lantier se révèlera incapable de maîtriser les foules. L’armée intervient, les soldats commencent à tirer, faisant morts et blessés. La foule est mise en échec. Les ouvriers reprennent le travail. 

Etienne part pour Paris, et optera pour des méthodes plus pacifiques. Malgré la défaite contre le capitalisme, il est plein d’espoir. Il sait qu’un jour viendra où la force ouvrière, encore en germination, s’organisera pour venir à bout des injustices.

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La pandémie augmente le nombre de pauvres de 115 millions de personnes

Comment voir notre société actuelle sous l’oeil de Zola dans Germinal ? La pauvreté, la colère liée aux injustices sociales, la remise en cause de l’ordre établi, n’est pas sans rappeler les manifestations des gilets jaunes, du printemps arabe, du mouvement des indignés en Espagne, des soulèvements au Liban… sans oublier les réseaux sociaux, terreau  de notre époque en terme de contestations en tout genres. Dans le livre de Zola, le noeud de l’histoire est la pauvreté, et même la misère d’un peuple face à des bourgeois qui vivent dans l’opulence, et le sentiment de frustration qui en découle. 

Depuis près d’un siècle, la pauvreté dans le monde n’a cessé de diminuer (mis à part la crise financière asiatique en 1997-1998), pour atteindre un peu plus de 700 millions de personnes qui vivent dans la pauvreté extrême, c’est-à-dire avec moins de 1.90 $ par jour et par personne, soit 8.4% de la population mondiale (chiffres CNUCED). La crise sanitaire a inversé cette tendance, en augmentant le nombre de pauvres de 115 millions de personnes, atteignant 8.9% de la population mondiale. Et ça n’est que le début. 

Par ailleurs, la pauvreté extrême touchait plus les femmes que les hommes ; concernait plus les zones rurales que citadines ; était concentré en Afrique subsaharienne, dans le Sud-est asiatique, dans les pays latino-américains, et certains pays du Moyen-Orient. Avec la pandémie, les règles sanitaires et le confinement, désormais, la pauvreté s’est étendue et concerne même les citadins. Quant aux femmes, elle en a accentué la propension. 

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Une baisse de revenus généralisée

Une baisse de revenus généralisée dans 170 pays du monde, y compris les pays riches d’Occident, s’est invitée insidieusement. En France, les pertes d’emplois ont d’abord concerné les plus vulnérables, avant de s’étendre à d’autres catégories. Au 1er septembre, 715.000 emplois ont été supprimés. D’autres ont enregistré une baisse d’activité notamment liée au chômage partiel, en particulier les ouvriers (54%) et les employés (36%), alors que les cadres ont été plus épargnés grâce au télétravail (26%). Les jeunes ne sont pas en reste. Bien entendu, cette baisse d’activité s’est accompagnée d’une baisse de revenus, la plus forte depuis l’après guerre. Baisse d’autant plus grave qu’elle concerne les revenus les plus bas. Dans cette hécatombe, les activités liées au tourisme ont profondément été touchées : compagnies aériennes, hôtels, artisanat et restaurateurs dressent déjà un bilan catastrophique, conclusion qui se feront encore plus visibles en 2021. Dans les pays anciennement pauvres, ou à revenus intermédiaires, les démunis ont appris à vivre en système D. En sera-t-il de même pour les nouveaux pauvres des pays riches ? 

Il est certain que les niveaux de vie en France sont sans commune mesure avec le Germinal de Zola. Toutefois, dans l’Hexagone, 1.270.000 repas sont distribués quotidiennement aujourd’hui par le Secours populaire, pour des gens qui n’ont « plus un sou, pas même une croûte ». 45% d’entre eux n’avaient jamais franchi cette étape avant le Covid, et ce, malgré les filets de sécurité et de protection sociale mis en place par le gouvernement. Quant aux SDF, ils avoisinent les 300.000 selon la Fondation Abbé-Pierre, à errer dans les rues de France : « qu’allai[en]t-il[s] faire ainsi par les chemins, sans but, ne sachant seulement où s’abriter contre la brise ? »

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80 personnes dans le monde se partagent la moitié des richesses mondiales

Notre modèle économique actuel permet, selon OXFAM, à 80 personnes dans le monde de se partager la moitié des richesses mondiales, à 1% de la population de posséder près de la moitié de la fortune mondiale, à 80% de la population mondiale de se contenter seulement de 5.5% des richesses mondiales. L’heure est à une réévaluation du système prépandémique, pour un système plus inclusif, et qui répartisse efficacement les ressources et la production des biens et services, notamment lorsqu’il s’agit de s’attaquer à des questions essentielles, tel que le réchauffement climatique. 

Germinal est un espoir d’égalité et de justice sociale, où la légalité des moyens est préconisée : « la violence peut-être ne hâtait pas les choses […] se réunir en syndicats, lorsque les lois le permettraient ». De la même manière, il ne faut pas attendre que des révolutions éclatent pour apprendre à façonner un monde dans lequel toutes les voix seraient entendues.

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