Géostratégie. L’heure de la revanche a-t-elle sonné pour le Maroc ?
Hasard du calendrier ou simple coïncidence ? Tandis qu’à Saint-Pétersbourg, la compagnie Mariinsky danse Don Quichotte, la troupe de l’Opéra de Paris fête également le personnage dans un ballet de danses folkloriques. Macron, une pâle copie de Don Quichotte ? La comparaison s’arrête aux intentions, à chacun ses moulins à vent, mais le moins qu’on puisse dire, c’est que la frustration française ne cesse de croître à mesure que le Maroc scelle des alliances inédites qui surprennent par le timing et la nature des accords signés. La grosse surprise restant bien entendu, l’axe Rabat/Tel Aviv.
A-t-on bien compris que, sur tous les fronts, le Maroc a des intérêts géostratégiques à défendre ? Et c’est pour cette raison, capitale, que le royaume a fait jouer son soft power auprès de ces juifs marocains contraints de quitter le pays physiquement, mais sans jamais couper le cordon ombilical avec leur terre natale. Il a juste fallu pousser un peu pour que l’Etat hébreu ouvre toutes grandes les portes de la collaboration, y compris dans le domaine sensible de la coopération militaire. Toutes officieuses qu’elles étaient, d’étroites relations existaient déjà entre le Maroc et Israël, et les ponts n’ont jamais été coupés entre les 800 000 juifs marocains qui vivent en Israël et les quelques milliers de leurs compatriotes restés au Maroc, sans oublier une fraternité non feinte entre juifs et musulmans marocains.
Comment expliquer alors l’ire des Français et autres Allemands ? C’est que l’avenir du continent africain est en train d’échapper aux stratèges de Paris, en passant par Berlin et Madrid. Maintenant que le royaume avance main dans la main avec Israël sous l’œil bienveillant de l’Oncle Sam, la menace que le trio fasse main basse sur le continent, riche en ressources halieutiques, en terres arables et en matières premières se précise, du moins dans les calculs des uns et des autres.
L’alliance Israël/Maroc a complètement déstabilisé les plans de l’Espagne et de l’Allemagne qui y voient en réalité une menace directe. Plus, pour les Espagnols qui se prennent à faire des cauchemars par rapport à une exigence probable du royaume de rétrocession de ses présides occupés.
Quant à l’Hexagone, il n’a pas besoin d’avancer à visage découvert, les généraux de l’Algérie font le sale boulot à sa place, même s’ils le font très mal. Sinon pourquoi le président français qui taquine les généraux d’une voix, prend son téléphone pour traficoter avec le président algérien d’une autre ?
Comme le confirme le média bien informé qu’est Africa Intelligence qui précise que « Macron a longuement téléphoné à son homologue algérien fin novembre ». Selon le site, qui titre « Macron et Tebboune renouent dans le plus grand secret », les deux chefs d’Etat ont convenu d’entamer une « décrispation » progressive de leurs relations d’ici au printemps.
Ça, c’est le côté cour, le côté jardin, c’est que les équipes au pouvoir à Alger ne prennent aucune décision qui n’est pas validée ou plus encore suggérée par Paris, au risque de perdre leurs strapontins. Et c’est dans ce sens que l’on comprend mieux l’incompréhensible acharnement de l’Algérie à mettre les bâtons dans les roues du voisin marocain, quitte à se ridiculiser devant la communauté internationale.
Peut-on imaginer un instant, un Tebboune décider de son propre chef de fermer le robinet du gaz algérien qui transite par le Maroc et profite avant tout aux Espagnols, sans le feu vert de l’Élysée ?
Entre parenthèses, il s’agit là d’un pétard mouillé, car le royaume s’est toujours méfié de l’option d’un seul fournisseur. Et comme l’a expliqué la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali, aux députés de la Chambre des représentants « le gaz naturel qui transitait par le gazoduc Maghreb-Europe depuis l’Algérie n’a jamais fait l’objet d’usage domestique au Maroc », assurant par la même occasion que l’approvisionnement du marché national se fait de manière régulière et dans les meilleures conditions !
Cerise sur le gâteau, à l’appel à manifestation d’intérêt, bouclé le 25 octobre par Leila Benali pour la construction de la première unité flottante de regazéification du royaume, sur la vingtaine de candidats qui ont répondu présents figurent en effet de grosses pointures comme le consortium mené par l’une des filiales de China Communications Construction Co, China Road & Bridge Corp (CRBC). Il comprend également CCCC Third Harbour, spécialisé dans les infrastructures portuaires, ainsi qu’une entreprise privée, Wison Engineering.
Le géant chinois qui partage désormais 35 % de la société de projet Société d’aménagement de Tanger Tech (SATT), avec BMCE Bank of Africa (25 %), la région (20 %) et l’Agence spéciale Tanger Méditerranée (TMSA, 20 %), est bien parti pour décrocher la construction de la ligne à grande vitesse Kenitra-Marrakech-Agadir, au détriment des groupes français.
Voilà quelques semaines de cela, cette montée des tensions s’était aussi illustrée par la décision française unilatérale, très inhabituelle et fort discourtoise, de réduire l’octroi des visas Schengen aux Marocains de 50%. Avec à la clé plusieurs sorties du matamore de service, un Gabriel Attal qui a usé d’un lexique en usage généralement dans les sphères dirigeantes des Etats voyous : « Il y a eu un dialogue, ensuite il y a eu des menaces ; aujourd’hui on met cette menace à exécution » !
Dans cette guéguerre de dimension internationale, un président sortant comme Macron devrait pourtant maîtriser beaucoup mieux les enjeux diplomatiques à travers ses réseaux, ses équipes qui ont une longue appétence pour les affaires internationales.
La défense des intérêts de la France ne peut justifier les grands écarts de celui qui a la charge de privilégier une forme de realpolitik aux conséquences hasardeuses. Car il faut que les élites de ce pays se réveillent une fois pour toutes de ce long rêve de « puissance coloniale ». La France n’est plus une puissance coloniale, à savoir si c’est encore une puissance et le Maroc est aujourd’hui une puissance moyenne avec qui il faut compter.
Au Maroc, on n’a pas de pétrole mais on a un chef d’Etat qui refuse qu’on traite son pays par-dessus la jambe. Entre l’attachement au passé, la logique du présent, ou l’invention de l’avenir, c’est toute l’audace, le talent et l’entregent de Mohamed VI qui permettent aujourd’hui, malgré une modestie des moyens de parvenir aujourd’hui à̀ de si belles victoires.
Dans un Maghreb où les régimes autoritaires ne cessent de gagner du terrain, le royaume qui se trouve dans le rôle ingrat de défenseur des valeurs universelles mérite mieux qu’une diplomatie au rabais, motivée par de mesquins et sombres intérêts.