Georges Ibrahim Abdallah : 12e demande de libération du militant libanais

 Georges Ibrahim Abdallah : 12e demande de libération du militant libanais

Le Libanais Georges Ibrahim Abdallah sort du palais de justice de Lyon le 10 juillet 1986, après avoir été condamné à 4 ans de prison. Abdallah, militant pro-palestinien, a été arrêté à Lyon en octobre 1984 et accusé du meurtre de Charles Ray (États-Unis) et de Yacov Barsimantov (Israël), deux diplomates tués à Paris en 1982. (Photo AFP)

Lundi 7 octobre, Georges Ibrahim Abdallah, militant communiste libanais et figure de la lutte armée des années 1980, se présentera une nouvelle fois devant les juges d’application des peines, dans la prison de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), où il est détenu depuis bientôt quarante ans.

 

Cette audience, visant à examiner sa douzième demande de libération conditionnelle, intervient dans un contexte chargé de symboles. En effet, la date du 7 octobre marque aussi le premier anniversaire des attentats perpétrés par le Hamas en Israël en 2023.

Cette coïncidence risque de servir d’argument aux détracteurs de sa libération, qui pourraient y voir une association, même indirecte, avec des actes de terrorisme. « La libération de Georges Ibrahim Abdallah serait une victoire pour le Hezbollah libanais », affirment encore ses opposants, en particulier les États-Unis, selon son avocat, Jean-Louis Chalanset.

Georges Ibrahim Abdallah, aujourd’hui âgé de 74 ans, est considéré comme le plus vieux prisonnier politique au monde. Militant des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), un groupe marxiste pro-palestinien, il a été arrêté à Paris en 1984 et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1987 pour complicité dans l’assassinat de deux diplomates : Charles Ray, attaché militaire adjoint des États-Unis en France, abattu à Paris en janvier 1982, et Yacov Barsimantov, diplomate israélien, tué trois mois plus tard, en avril de la même année.

L’enquête conclut que ces meurtres étaient des représailles contre les interventions militaires israéliennes au Liban, mais Abdallah a toujours nié toute implication directe dans ces assassinats. Son avocat rappelle d’ailleurs qu’« il n’y a aucune preuve qu’il ait participé aux assassinats qui lui sont reprochés ».

L’arrestation de Georges Ibrahim Abdallah en 1984 s’inscrit dans un contexte géopolitique complexe. À l’époque, la guerre civile fait rage au Liban, exacerbée par l’invasion israélienne de 1982 qui vise à éliminer la résistance palestinienne et à soutenir les milices chrétiennes pro-israéliennes.

Abdallah est arrêté presque par hasard : la police française l’interpelle pour des faits mineurs, mais lors de sa garde à vue, il est rapidement identifié comme le leader des FARL. Peu de temps après, des preuves compromettantes sont découvertes, notamment l’arme utilisée dans les assassinats de Ray et Barsimantov, trouvée dans une planque des FARL.

Son procès, qui s’est tenu en février 1987, intervient dans un climat particulièrement tendu. Plusieurs attentats meurtriers ont frappé Paris à cette période, créant une pression énorme sur les autorités françaises pour qu’elles trouvent des coupables.

Bien que ces attaques n’aient pas de lien direct avec Abdallah, son implication présumée dans les meurtres de diplomates étrangers et son rôle de chef des FARL en ont fait une cible idéale pour l’opinion publique et les gouvernements étrangers.

Les États-Unis, partie civile lors du procès, et Israël ont fortement pesé pour qu’il soit condamné. Yves Bonnet, ancien chef de la DST (Direction de la surveillance du territoire) et responsable de son arrestation, affirme pourtant aujourd’hui que « même si je ne cautionne pas ces meurtres, les FARL avaient le droit de revendiquer ces assassinats comme des actes de résistance », rappelant que les victimes étaient des agents de renseignement américains et israéliens, et non des civils.

Depuis sa condamnation, Georges Ibrahim Abdallah est devenu une figure emblématique du conflit entre la justice française et les pressions politiques étrangères. Sa peine de sûreté a expiré en 1999, ce qui le rend théoriquement libérable depuis vingt-cinq ans.

Cependant, ses onze précédentes demandes de libération ont toutes été rejetées, au motif qu’il n’a jamais émis de regrets vis-à-vis des crimes qu’il a toujours niés, à l’exception d’une en 2013, où la justice française avait donné son accord sous condition d’expulsion. Le Liban s’était dit prêt à l’accueillir, mais le ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, avait refusé de signer l’arrêté d’expulsion, bloquant ainsi la procédure.

Valls avait justifié son refus en déclarant : « Je l’ai fait par conviction », tandis que les États-Unis, par la voix d’Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, avaient demandé aux autorités françaises de trouver un moyen d’empêcher sa libération. Cette ingérence américaine avait été révélée par des câbles diplomatiques divulgués par Wikileaks.

L’opposition des États-Unis à la libération d’Abdallah s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. Pour Washington, sa remise en liberté représenterait une victoire symbolique pour le Hezbollah, groupe chiite libanais soutenu par l’Iran, et un danger potentiel pour la sécurité d’Israël, avec qui le Hezbollah reste en conflit permanent.

Pour cette raison, à chaque nouvelle demande de libération, les autorités américaines interviennent dans le processus, ce que l’avocat d’Abdallah, Me Chalanset, dénonce fermement. « Manifestement, il y a une opposition à sa libération et on souhaite qu’il meure en prison, ce qui est totalement délirant en droit et contraire à toutes les conventions européennes », déplore-t-il.

Effectivement, en 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les peines de réclusion à perpétuité, avec possibilité de libération conditionnelle seulement après quarante ans de détention, étaient en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’homme. Les avocats de M. Abdallah s’appuient sur cette jurisprudence pour revendiquer sa libération.

Pourtant, après que sa précédente demande de libération a été refusée en appel en 2015, Georges Ibrahim Abdallah avait promis de ne plus se laisser prendre au jeu, affirmant que, s’il devait un jour être libéré, cela ne pourrait se faire que par une grâce présidentielle. Toutefois, le vieux révolutionnaire libanais a décidé de lancer une nouvelle procédure, par respect pour ses partisans.

Malgré les pressions, les soutiens de Georges Ibrahim Abdallah ne faiblissent pas. En mai 2023, 28 députés français de gauche ont signé une tribune appelant à sa libération. Chaque année, des manifestations se tiennent devant la prison de Lannemezan, réunissant militants et sympathisants, qui voient en lui une victime des manœuvres politiques internationales.

Yves Bonnet, l’ancien chef de la DST, partage également ce sentiment d’injustice, rappelant que d’autres criminels condamnés pour des faits bien plus graves ont été libérés après des peines beaucoup plus courtes. « La France se grandirait en arrêtant de s’acharner sur Georges Ibrahim Abdallah et en le laissant sortir », soutient-il.

Quarante ans après son arrestation, Abdallah attend toujours que justice lui soit rendue. « Il est plus que temps qu’il soit libéré », martèle Me Chalanset, soulignant que son client craint pour sa sécurité en cas de maintien en détention en France.

L’audience du 7 octobre sera donc une nouvelle étape cruciale dans cette affaire, même si, encore une fois, les enjeux dépassent largement le cadre juridique, reflétant les tensions diplomatiques et les rivalités internationales qui entourent ce dossier depuis quatre décennies.

Suite à la décision des juges d’application des peines, l’affaire pourrait être portée devant la cour d’appel de Paris. Les partisans de Georges Ibrahim Abdallah s’organisent déjà pour une grande mobilisation prévue le 26 octobre devant la prison de Lannemezan.

 

 

Nadir Dendoune