Genevilliers : le fisc « célibatarise » des chibanis mariés

 Genevilliers : le fisc « célibatarise » des chibanis mariés

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La surprise est de taille pour Mahdi Jamaa, vivant dans un foyer pour des travailleurs chibanis de Gennevilliers. Depuis 3 ans, l’administration fiscale le considère comme célibataire de manière péremptoire. Venu en France en 1970, il n’a jamais payé d’impôts car marié depuis 1963 et père de 8 enfants.

Résidence des Grésillons à Gennevilliers. En cette journée de ramadan sous confinement, les chibanis attendent à l’extérieur. Masqués, ils vivent une situation compliquée avec le Covid-19 : peu ou pas de moyens en ce mois sacré et une attente de l’ouverture des frontières pour rejoindre la famille au Maroc.

Dans sa chambre, Mahdi Jamaa ramasse des papiers officiels. « Je suis malade, indique le chibani. J’ai du diabète et je me retrouve coincé ici depuis plus de 5 mois. » Prenant son mal en patience, il doit aussi régler un problème juridique inextricable.

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« Ils m’ont enlevé ma femme »

Mahdi Jamaa est travailleur marocain. Il est arrivé en France en 1970. Durant sa vie de labeur, il a été maçon dans le bâtiment puis ouvrier à l’usine, entre autres. Marié avant d’arriver en France, il fait le choix, comme de nombreux travailleurs maghrébins, de laisser sa famille au bled. Ses faibles fiches de paies, l’absence de logement et des conditions difficiles des chibanis ne l’ont pas poussé à rapatrier sa famille par le regroupement familial.

Entre les allers-retours entre la France et le Maroc, il arrive difficilement à subvenir comme il peut à sa famille. Durant près de 50 ans, compte tenu de ses moyens, il ne paie pas d’impôts et bénéficie des allocations au logement.

Soudainement, sans crier gare, l’administration fiscale décide de son propre chef, depuis 3 ans, de considérer que Mahdi Jamaa est « célibataire ». Une situation ubuesque pour ce père de 8 enfants. « C’est une injustice. Je ne suis pas célibataire. Je suis marié depuis 1963 et j’ai 8 enfants. » Mi-amusé, mi-agacé par la situation, il rajoute « ils m’ont enlevé ma femme. Ils m’ont fait disparaitre ma vie maritale de force ! »

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Une forme de « hogra » fiscale

Ali El Baz trouve la situation inacceptable. Ce membre du Groupement d’information et d’aide aux immigrés (Gisti) et de la Copaf vient souvent en aide aux vieux travailleurs maghrébins. « Le centre des impôts fait une différence entre les chibanis qui vivent seuls en France et ceux qui sont avec leurs familles. Il s’agit d’une imposition d’office qui concerne les Maghrébins, les Sénégalais et les Maliens. Le fait de leur retirer leur statut d’homme marié fait qu’ils ne bénéficient plus des parts de leurs femmes et enfants. Des personnes deviennent alors automatiquement imposables. Or, ils sont mariés. Ils vont voir leurs femmes et enfants plusieurs fois par an. »

Ce changement de statut dépasse la simple question fiscale. Elle a des conséquences graves pour les chibanis qui peut les toucher dans plusieurs domaines. « Si le chibani veut ramener sa femme en France, la préfecture le considérera comme célibataire au vu de sa feuille d’impôts. Il devient « célibatairisé » et ne pourra pas demander un regroupement familial. C’est une aberration et une atteinte à la dignité des personnes. Je ne comprends pas cette chasse aux vieux immigrés. »

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Des élus se mobilisent sans effet

Les conséquences de ce changement de statut, imposé par l’administration fiscale entraine aussi des changements dans les aides perçues par ces chibanis. « Cela affecte aussi le calcul des allocations logement, précise Ali El Baz. Le quotient familial se retrouve alors réduit et les chibanis ne peuvent plus bénéficier des aides. »

Le président du comité des résidents du foyer des Gresillons, El Miloud Masbah confirme cet état de fait. « Ca bloque l’APL aux retraités. Ils se retrouvent alors à payer le loyer à plein tarif et les met dans une situation difficile avec injonction de payer, mise en demeure, etc.. »

Plusieurs élus de Gennevilliers ont tenté d’avoir des explications de l’administration fiscale. L’élue au conseil municipal Nadia Mouaddine, déléguée aux politiques culturelles et aux relations avec les résidents des foyers a porté l’affaire auprès du maire, Patrice Leclerc et de la députée Elsa Faucillon. L’élue demande dans son courrier du 15 mars 2021 des éclaircissements : « Je suis, par ailleurs, curieuse de connaître la raison de cette décision. » Pour l’heure, le centre des impôts n’a pas répondu. Portée en justice, l’affaire est actuellement en cours d’instruction en appel.

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De l’amertume pour les chibanis

Un peu lassé par cette situation, Mahdi Jamaa est dans l’expectative pour cette année. « L’administration fiscale m’a déjà pris 501 euros. Pour cette année, je ne sais pas encore quelle sera ma situation. Je me demande comment je vais faire, si je vais dormir dehors ou si je ne vais pas partir définitivement au Maroc. Avec ces histoires d’impôts, c’est la solution qu’ils ont trouvé pour faire partir les chibanis dans leurs pays d’origine. »

Cette pression fiscale incompréhensible lui laisse un peu d’amertume. « Nous demandons le respect à la France comme lorsque nous sommes arrivés en 1970. Nous les chibanis, ne nous sommes jamais plaints. On se respectait avec les Français mais ils ont changé d’opinion. On a l’impression d’avoir été utilisé puis jeté comme des kleneex. »