Yasmine Chami ou l’écriture comme géographie de l’intérieur

 Yasmine Chami ou l’écriture comme géographie de l’intérieur

Prix de littérature arabe 2017 à Paris. Yasmine Chami


Elle a reçu une mention spéciale du jury lors de la remise du Prix de littérature arabe, hier à l’Institut du monde arabe. Yasmine Chami a été récompensée pour son roman « Mourir est un enchantement », paru aux éditions Actes Sud, qui narre le voyage introspectif d’une femme dans une constellation familiale du Maroc contemporain.


En quoi était-ce important pour vous que Sara, l’héroïne de votre roman, soit une femme malade, vulnérable, seule au sein d’une société encore très patriarcale ?


L’histoire part effectivement de cette femme qui est seule et qui fait partie de cette première génération de femmes qui vivent seules. Et c’est une solitude assumée pleinement. On ne sait pas très bien si le divorce qu’elle a vécu est de son fait, mais il y a cette possibilité de vivre sans homme. C’est d’ailleurs un phénomène social qui s’est énormément répandu au Maroc. Aujourd’hui, le célibat des femmes est beaucoup moins une entrave à leur socialisation.


En quoi cette famille marocaine, aux origines multiples, est emblématique d’une époque ?


Elle est emblématique de la période post-indépendance du Maroc. La question de l’identité ne se posait pas dans les mêmes termes qu’aujourd’hui, c’est-à-dire que les appartenances religieuses et géographiques étaient moins importantes que le projet commun qui était de participer au développement du Maroc. Aujourd’hui, il y a une forme de déception par rapport aux possibilités de développement. Il y a une forme de régression sur un mode identitaire beaucoup plus fermé et religieux, qui finalement est beaucoup moins heureux.


Vous dites : « on écrit toujours d’où l’on est ». Que signifie cette phrase ?


Ce n’est pas forcément « d’où l’on est » géographiquement, c’est aussi et surtout « où l’on est en soi ». C’est aussi une géographie de l’intérieur, la découverte des territoires engloutis, des stratifications de la construction d’un écrivain. Dans l’écriture, ce qui émerge, ce sont ces strates et à chaque fois, il y a un travail d’exhumation.


Propos recueillis par Chloé Juhel