France/Tunisie. L’antiparlementarisme, invariable pierre angulaire des populismes
De nombreux Tunisiens ont suivi et abondamment commenté sur les réseaux sociaux le débat de l’entre deux tours de l’élection présidentielle française, hier soir 20 avril, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Flagrantes, les similitudes entre le programme annoncé de la candidate d’extrême droite et le programme en cours d’exécution du président Kais Saïed, à commencer par l’antiparlementarisme, n’ont pas échappées aux téléspectateurs.
« Le seul souverain, c’est le peuple, ce n’est pas le conseil constitutionnel ! », a martelé Marine Le Pen tout au long du débat télévisé, un leitmotiv qui sonne de façon familière aux oreilles des spectateurs Tunisiens, qui ont vécu ces derniers mois au rythme du refrain présidentiel « al-chaâb yourid » (le peuple décide), slogan de campagne devenu devise du mandat du président Saïed. De la même façon, le président tunisien avait tout fait en termes de veto pour ne pas instaurer de Cour constitutionnelle, dont la création est prévu par la Constitution de 2014.
Un despotisme déguisé en démocratie participative directe
Pour la candidate héritière de Le Pen, son projet s’agissant de la refonte des institutions s’articule autour de deux propositions essentielles : des élections à la proportionnelle aux législatives, et l’instauration du référendum d’initiative citoyenne : « Je souhaite une renaissance démocratique avec une Assemblée nationale qui a plus de pouvoir et la mise en œuvre du RIC (référendum d’initiative populaire) ». 500.000 Français pourraient alors soumettre l’abrogation d’une loi ou la proposition d’une loi, propose la candidate. Elle promet en outre une révision constitutionnelle justifiée par l’article 11, appelant à « retrouver » le sens de la démocratie et à se « ressourcer » dans la Constitution française.
Comme Marine Le Pen, Kais Saïed prétend puiser dans la Constitution tunisienne, qu’il dit respecter à la lettre, le démantèlement même de celle-ci. Une audace commune aux populismes qui ne s’interdisent aucune incohérence et jouent sur les mots. Si le président tunisien, qui exècre les partis politiques, veut un amendement de la loi électorale vers un scrutin individuel avec abandon des listes, il est également pour le droit de retrait du mandat, droit octroyé aux électeurs. Cela s’apparente à une forme de RIC, du moins d’épée de Damoclès angéliste que les citoyens peuvent à tout moment invoquer, s’ils ne sont pas satisfaits de leurs élus respectifs. Le président Saïed s’apprête par ailleurs à organiser un référendum populaire autour de sa nouvelle Constitution, après avoir affirmé que les résultats de la récente consultation électronique ont aussi « un caractère référendaire ».
Se transformant en règle générale en plébiscite, le référendum est l’outil à double tranchant favori des autocrates et des régimes souverainistes et nationalistes, un outil qui a d’autant plus le vent en poupe qu’il a permis à la Grande-Bretagne de réaliser son « brexit » à partir de 2016, et de propulser le fantasque Boris Johnson au pouvoir.
Lorsque Marine Le Pen dit vouloir « une Assemblée nationale avec plus de pouvoirs », il s’agit en réalité d’un subterfuge sémantique puisque par « plus de pouvoirs », elle désigne en fait le retrait de prérogatives aux députés au profit des citoyens, ce qui consacre l’abrogation de la notion de démocratie représentative parlementaire.
Historiquement, l’antiparlementarisme désigne l’opposition ou l’hostilité envers le parlementarisme, qu’il s’incarne sous forme républicaine ou monarchique, avec comme critique habituelle le coût de fonctionnement du Parlement, la corruption des élites et par extension des parlementaires, leur absentéisme et « le vote godillot », un vote qui suit les consignes.
Si elle n’a pas l’apanage de l’antiparlementarisme, l’extrême droite est traditionnellement antilibérale et antiparlementaire. L’un des fondements du fascisme est ainsi le rejet des valeurs du libéralisme, dont le parlementarisme. En France, l’antiparlementarisme structurel de la Troisième République se distingue de l’antiparlementarisme politique de la Quatrième République qui critique les excès du parlementarisme sans le refuser, tel le poujadisme.
En Tunisie, même s’il n’a pas été pris au sérieux dans un premier temps, l’antiparlementarisme de Kais Saïed fut clairement explicité dès 2019 lors de la campagne électorale. Jouant la carte du pourrissement en laissant le Parlement sombrer dans de houleuses séances plénières, le président tunisien n’a soumis aucun projet de loi aux parlementaires tel que l’y autorise pourtant la Constitution, préférant incarner une force de blocage, jusqu’à ce qu’il décide unilatéralement de dissoudre le Parlement le 30 mars dernier, au nom de l’état d’exception.
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