La conversion de la dette tunisienne : un effet d’annonce et après ?
À l’occasion de la visite d’État du président Béji Caid Essebsi en France, Paris a annoncé la conversion d’une partie de la dette tunisienne en investissements. Une annonce qui intervient quelques jours après des annonces similaires de la part de l’Italie (25 millions d’euros) et de l’Allemagne (60 millions d’euros). L’occasion de revenir sur un mécanisme qui est loin d’être aussi bénéfique que les annonces politiques le laissent entendre.
145 millions d’euros de dette convertis
En quelques semaines, la Tunisie a donc engrangé 145 millions d’euros de promesses de conversion de dette de la part de trois de ses principaux créanciers. Selon le site du ministère français de l’Économie, la conversion de dette en investissements est un mécanisme financier qui permet à la fois d'alléger la dette d'un pays émergent et d'encourager les investissements étrangers dans ce pays.
Il présente surtout l’avantage de faire en sorte que les sommes en jeu restent dans le pays débiteur au lieu d’être transférées vers les créanciers, le plus souvent des banques ou des institutions internationales. En effet, le débiteur, en l’occurrence la Tunisie, se voit proposer de racheter par anticipation et en monnaie locale des titres de sa dette auprès d’entreprises et d’établissements de coopération internationale qui les auront préalablement acquis à l’État français.
Une goutte d’eau
Si elle parait avantageuse, la conversion de la dette a aussi des limites que les déclarations officielles se gardent bien de mettre en avant. D’abord, les montants en jeu restent dérisoires. L’annonce de François Hollande lors de la visite à Paris du président tunisien porte sur 60 millions d’euros, alors que la dette tunisienne se chiffre à 1 milliard d’euros vis-à-vis de la seule France. Au total, la dette tunisienne est de 20 milliards de dollars.
Ensuite, Tunis n’aura pas vraiment le choix en matière des projets qui bénéficieront du mécanisme puisque c’est le Trésor public français qui sélectionne les acteurs auxquels il transfère ses titres de créances sur la Tunisie. De plus, le créancier choisit également les titres qui va convertir, ce qui lui laisse la possibilité de sélectionner des dettes difficilement recouvrables de toute façon, ou des dettes dites illégitimes, c’est-à-dire contractées sous la dictature et pouvant peut-être faire l’objet d’une contestation par les autorités tunisiennes issues de la révolution.
Limites morales
C’est là la limite morale de la conversion de la dette, puisqu’elle revient pour le pays qui en bénéficie à accepter la légitimité des dettes converties. Or, la Tunisie n’a jamais mené à terme l’audit de sa dette afin de déterminer quelle en est la part illégitime.
Le projet de loi sur cet audit a été retiré de l’ordre du jour de l’Assemblée constituante par le secrétaire d’État aux Finances, Slim Besbès en février 2013. Le processus n’a jamais repris depuis, laissant les contribuables tunisiens rembourser certaines dettes odieuses et leurs intérêts, alors même que le Parlement européen a reconnu le caractère odieux de la dette dans les pays du printemps arabe et que le Sénat Belge, notamment, a voté une résolution appelant à un audit de la dette tunisienne.
Hasard du calendrier ou pas, fin 2012 et début 2013 ont vu la notation financière de la Tunisie être abaissée dangereusement, menaçant sa capacité d’emprunt sur les marchés internationaux. C’est que le monde de la finance est nerveux dès qu’il s’agit de faire un inventaire de crédits contractés sous une dictature. À titre de comparaison, l’audit de la dette équatorienne en 2008 a permis au petit pays d’Amérique latine de rayer 7 milliards de dollars de son passif.
Rached Cherif