Trois femmes nous expliquent pourquoi elles tiennent tant à leurs voiles

 Trois femmes nous expliquent pourquoi elles tiennent tant à leurs voiles

Kahina nous explique pourquoi elle tient tant à son voile.


 


Les femmes voilées, comme "on" a pris l’habitude de les appeler, restent invisibles dans l’espace médiatique. Peu invitées sur les plateaux télé, on préfère donner la parole à des spécialistes qui répètent inlassablement le même refrain : en France, dans les quartiers populaires, on oblige les femmes à se voiler. Des nanas soumises à leurs maris et à leurs grands frères. On a donc décidé de donner la parole à trois d’entre elles. 


 


Linda, Kahina et Baya, ont toutes grandi en banlieue. Linda a 35 ans : elle porte le voile depuis près de 20 ans. Pour Kahina, ce choix est plus récent :  elle a « franchi le pas » en 2012. Baya, elle, porte le voile depuis 10 ans.


 


A entendre les « spécialistes du voile », on vous aurait forcées à le porter ? Y a-t-il eu une quelconque pression ? Même de manière insidieuse ?


Linda : Je le porte par conviction personnelle. D'ailleurs, le premier jour, j'avais emprunté un foulard et j'en ai parlé à personne autour de moi. Il pleuvait, j'étais discrète … J'en ai parlé plus tard à ma mère et à ma famille, sauf à mon père. Durant les 6 premiers mois, j'ai dû me cacher et j'ai refusé de sortir en présence de mon père. Quand je lui avais fait part de ce choix avant de le porter, il me l'avait interdit. Il craignait les conséquences que ce choix pouvait avoir dans une société française où il a toujours adopté une attitude discrète… Il avait peur que ce choix m'empêche d'aller à l'école. Au collège, ce n'est pas chose facile : je le retirais à l'entrée et la plupart des élèves cherchaient à savoir qui m'avait poussée à faire ce choix, il y avait forcément quelqu'un qui m'avait forcée … Rares sont ceux qui ne m'ont pas interrogée sur mes motivations… celles et ceux qui connaissaient mon intérêt pour la spiritualité musulmane. Oui j'ai eu une éducation religieuse assez jeune et il me paraissait normal de plaire à Dieu. En été, mon père a découvert mon voile et n'a rien dit. Il m'a suggérée d'abandonner le voile mais voyant mon entêtement, Il m'a juste dit qu'il ne fallait pas que le voile m'empêche d'étudier.


 


Kahina : Personne ne m’a forcée à le porter, et je dirais même plus : personne ne m’a influencée dans ma décision. Aussi surprenant que cela pourrait paraître, la pression, je l’ai ressentie lorsque certains de mes proches, famille et amis, m’ont plutôt mise en garde contre les inconvénients de porter le voile en France. C’était extrêmement fatiguant de devoir expliquer mon choix et de devoir expliquer que j’avais les épaules assez solides pour faire face au regard des autres.


 


Baya : Pas du tout, bien au contraire. Ma famille est très ouverte d'esprit, tolérante et respecte les choix de chacun. Et vu mon caractère, ce n'est pas à moi qu'on va imposer quelque chose !


 


Porter le voile pour vous, cela signifie quoi au juste?


Linda : Pour moi, porter le voile est un acte de foi parmi tant d'autres qui ne concerne que la croyante et son créateur. C'est un moyen comme un autre de plaire à Dieu. Dans la tradition musulmane et certainement dans d'autres traditions, nous nous vétissons de manière pudique et nous couvrons les cheveux lorsque nous prions notre Seigneur. Pourtant, personne n'ose parler d'asservissement de la femme à l'homme. Cet acte est donc bien religieux et un acte exclusif de soumission à Dieu. De plus, porter le voile revêt d'autres significations que je ne maîtrise pas encore, mais qui s'inscrit de manière différente dans le parcours d'une croyante qui décide de le porter. Mais pour moi, porter le voile n'est qu'un détail et ne représente pas le degré de foi des unes et des autres. C'est un choix personnel. C'est pour cela que je ne comprends pas tout le temps l'intrusion des personnes extérieures à vouloir entrer dans ma relation intime avec Dieu. Certes, c'est visible mais ça ne regarde personne d'autre que moi : c'est mon corps et j'en fais ce que je veux. L'ambiance actuelle m'attriste car elle me cloisonne derrière le voile alors que celui-ci ne représente en rien qui je suis. Il manifeste un choix mais pas qui je suis.


 


Kahina : Le port du voile s’inscrit dans un cheminement et ceci c’est la religion musulmane qui nous le dit. Je vais me permettre une comparaison, ce rapport à Dieu c’est comme une relation amoureuse, là on parlera d’adoration. Depuis ma jeunesse, je pratique ma religion : j’y attache une grande importance, et je conçois mon rapport à Dieu comme un rapport amoureux. Autrement dit, il n’y’a pas d’amour sans preuve de cet amour. J’ai un sentiment profond qui m’anime et qui me pousse à lui témoigner ce que je ressens et la prière, le jeûne du mois de ramadan, et d’autres actes m’aident à vivre pleinement cette adoration. Vous savez le voile c’est juste de l’amour, un amour si fort qu’il en devient visible. J’ajouterais aussi que le port du voile c’est la réalisation d’un idéal de vie, c’est là qu’il est aussi une question personnelle. Le bonheur n’a pas de définition universelle, à chacun de trouver le sien, à chacun de se battre pour l’atteindre. En ce qui me concerne, je suis heureuse et épanouie ainsi. Dans ce rapport à moi j’ai trouvé un équilibre et un bien être et tout cela je le tire de mon histoire personnelle et de mon vécu.


 


Baya : Cela peut paraître curieux, mais porter le voile me permet d'être une femme libre et épanouie dans ma spiritualité. Ça contribue à mon bien être. Comprenez-vous qu'en France, pays laïque par excellence, les féministes voient dans le voile un outil d'oppression de la femme?


 


Linda : Je comprends que certaines femmes voient dans le voile un outil d'oppression dans la mesure où certaines femmes sont contraintes de le porter dans certains pays. En effet, dans ces pays, les hommes utilisent la religion pour asservir les femmes. Je suis la première à défendre ces femmes! Tout est une question de liberté ou de contrainte. Une femme doit être libre de ses choix et personne ne doit lui dicter sa manière d'être, de vivre ou de s'habiller. Je comprends également que la France ait un passé douloureux avec son histoire religieuse et qu'il lui a fallu du temps pour s'en séparer. La laïcité a été la meilleure chose qu'elle a pu mettre en place à l’époque en 1905 : cette loi intègre tous les citoyens de différentes convictions de manière égale. Tout le monde a le même traitement de faveur. Par contre, je ne comprends pas l'acharnement du gouvernement français et des médias contre le voile islamique. Le voile est devenu un symbole qui dépasse sa signification. Elle s'associe aux faces obscures de notre temps comme le terrorisme alors qu'il n'y a aucun lien. Le plus important n'est pas l'importance du voile dans une société. C'est réduire la complexité de celle-ci à pas grand chose. Le plus important pour une femme est de savoir quelle est sa place dans la société. Dispose-t-elle des mêmes droits que les hommes tant au travail que dans la vie quotidienne? Dans ce cas là, vous serez étonné de voir nombre de femmes voilées défendant le droit des femmes et sans distinction. De plus, La France est un Etat de droit et de liberté qui permet à tout à chacun de vivre sa spiritualité comme bon lui semble tant que celle ci ne gêne pas l'ordre public. Il me semble que je ne fais de mal à personne en le portant. Je respecte malgré moi une lecture limitée et intolérante de la laïcité . Je suis contrainte de retirer mon voile pour travailler et si je souhaite le garder, je prends le risque d'être exclue du monde du travail et renoncer à mes passions et mes compétences professionnelles. Si je me présente voilée à un entretien d'embauche, mes chances de succès sont quasi nulles. Je peux dire qu'en tant que femme voilée, je subis l'oppression d'une société française qui refuse de m'accepter et de me considérer comme un être à part entière, capable de réfléchir et de défendre seule ses droits.


 


Kahina : Que l’on me corrige si je fais erreur, mais le combat féministe a pour but de donner à la femme la liberté de choisir, l’accès a une volonté qui lui est propre et non pas une volonté qu’on lui imposerait. Elles n’ont pas à nous dicter la nature de cette volonté et actuellement c’est ce qui arrive. Les féministes veulent s’emparer du débat sur la question de la féminité alors que cette question appartient à toutes les femmes, elles n’ont pas le monopole. Pourquoi devrait-il exister une seule et unique forme de féminité, celle des talons et des mini-jupes ? Il n’y’a de féminité que celle que l’on a choisi et qui nous correspond. La France a effectivement connu une période sous l’emprise du religieux, où la femme était réduite à néant mais cela ne doit pas justifier que l’on nous impose aujourd’hui un autre modèle de société où le religieux serait totalement exclu parce que là on retombe dans les mêmes travers ceux de l’oppression. On ne chasse pas l’oppression par une autre forme d'oppression, seul le combat pour la liberté n'a de sens et là en l'occurrence la liberté à disposer de soi- même...


 


Baya : Je pourrais le comprendre si les femmes étaient forcées à le porter, mais honnêtement je côtoie beaucoup de femmes voilées et aucune de ces femmes n'a été forcée. Il faut aussi que la société comprenne que la France est multiculturelle et qu'on ne peut pas détacher certaines communautés de leurs appartenances religieuses. On n’a pas à le faire. Cela fait partie des libertés de chacun. Au contraire, la société doit faire un travail sur le plan du vivre ensemble, de la tolérance et du respect des choix de chaque individu. Je suis musulmane et je suis une femme libre, et les 2 vont très bien ensemble. Les féministes doivent l'entendre. Leur idéal vestimentaire et leur idée de la liberté n'est pas celui de toutes les femmes. Justement la liberté c'est de penser, s'habiller et s'épanouir comme on le souhaite et pas comme les autres le veulent.


 


Comment faire selon vous pour dépassionner le débat ?


Linda : La rencontre, le dialogue et l'union pour défendre des causes communes et graves qui touchent notre société. Nous occuper des véritables problèmes de la France : le chômage, la lutte pour les droits des citoyens, et surtout l'égalité et la justice pur tous !


Kahina : Pour dépassionner le débat, commençons par écouter les femmes concernées par le sujet, celles qui ont vraiment quelque chose à dire. Pour le moment, on n'entend que les politiques, certains journalistes et intellectuels qui font de la question du voile un enjeu social. Ce qu’elle n’est pas. Je pense que c’est vraiment là le point de départ : donner la parole à celles concernées et qui maitrisent le sujet. Seules ces personnes seront posées le débat en de bons termes. Un débat sain et intelligent ne peut se faire en l’absence de ces parties; dès lors, il n’est pas objectif et raisonnable il devient démesuré et vide de sens.


Baya : Il faut entendre les personnes concernées par ce sujet, les premières intéressées. Cela permettra d’arrêter de fantasmer. Malheureusement, on ne donne pas assez la parole à ces femmes et c'est bien dommage.


 


Est-ce que le voile vous empêche de vivre votre vie ?


Linda : Le voile ne m'empêche pas de vivre ma vie ! C'est la société française actuelle qui m'empêche de m'épanouir dans mes choix. J'ose espérer un peu plus de tolérance de la part de celle-ci ! Une société qui accepte ses citoyens dans sa richesse et sa diversité culturelle. Une France plus ouverte, responsable, mûre, juste et ambitieuse pour ses quartiers populaires.


 


Kahina : Le voile ne m’empêche pas de vivre ma vie : ce que l’on dit du voile à tort me rend la vie difficile à certains moments. Comme je le disais, actuellement certains politiques, journalistes et intellectuels se sont emparés de la question du voile et s’expriment sur les plateaux télés, dans les journaux, dans les universités. La majorité des français entend ce genre de discours sans prendre la peine de se poser les bonnes questions. Ces mêmes personnes, qui dans la rue, posent un regard violent et jugeant sur moi.A certains moments, ces regards vous font l'effet d’un uppercut, certains propos également et là faut avoir les épaules solides. Indépendamment de cela, la femme voilée mène une vie semblable au reste des femmes.


 


Baya : Pas du tout, je vis ma vie de la même façon que lorsque je ne le portais pas encore. Je sors, je voyage, comme je l'ai dit, je me sens encore plus libre et épanouie. Malheureusement, ce que je peux ressentir parfois, ce sont les regards méprisants de certaines personnes dans la rue, voir parfois des remarques et même des insultes. Mais je ne m'arrête pas là dessus.


 


A qui êtes-vous soumise ?


Linda : Je ne suis soumise à personne excepté à mon Seigneur.


Kahina : La soumission je ne la concède qu’à Dieu, je crois en lui et ma croyance me fait dire que chacun est libre de croire ou de ne pas croire.


Baya : Je suis soumise à Dieu et assume complètement mes convictions religieuses. Par contre, je ne suis soumise à aucun homme et aucune femme. Et je ne plierai jamais devant la pression de qui que ce soit, pas même des politiques et des féministes qui veulent nous imposer leurs idées et code vestimentaire de force.


 


Quelle serait pour vous la société idéale ?


Linda : Une société qui accepte tous les citoyens et la traite de manière égale et juste. Une société unie, forte et tolérante qui applique la justice pour tout le monde. Une société où les citoyens s'unissent pour des causes communes et échangent sur leurs différences avec beaucoup de respect. Et où personne n'imposerait sa vision du monde ou de l'émancipation. Un peu plus d'empathie et moins d'égoïsme ou de rapport de pouvoir … Mais je rêve peut-être : je suis un peu Bisounours.


 


Kahina : Je ne sais pas trop quelle société idéale je souhaite mais j’imagine une société meilleure. On parle beaucoup du vivre ensemble, mais c’est une belle utopie quand on constate que l’on marginalise, que l’on exclut la femme voilée de la société française. Quand j’entends parler d’une probable loi interdisant le port du voile au sein des universités je me dis que la France a échoué. Je ne comprends pas, comment peut-on à la fois dire des femmes voilées qu’elles sont soumises aux dictats masculins, qu’elles ne sont que de pauvres victimes et pendant ce temps là, on leur interdit les bancs des universités. Après tout, le savoir n’est-il pas le meilleur outil d’émancipation ? Je pourrais en dire autant en ce qui concerne l’accès à l’emploi, aujourd'hui voilée, il est difficile de trouver un emploi, le peu de sociétés privées qui embauchent des femmes voilées sont pointées du doigt et on tente par tous les moyens de les dissuader d’une telle pratique. Donc si on résume : la femme voilée doit rester chez elle et ne pas se mêler aux autres. Qu’on m’explique alors où se situe le vivre ensemble ? La construction d’une société meilleure commencerait par accepter la différence, peu importe sa nature, parce que toutes les minorités souffrent en France, toutes sans exception.


 


Baya : La société idéale serait, pour moi, une société qui respecte les différentes cultures et les us et coutumes de chacun ainsi que les religions de chacun. Respecter celui qui croit et celui ne croit pas, celle qui veut sortir en mini jupe et celle qui veut sortir voilée. A partir du moment où personne ne porte atteinte à l'intégrité de l'autre et que l'on essaye de vivre ensemble, alors on pourra envisager une évolution de la société.


 


Quelle discrimination subissez-vous au quotidien ?


Linda : J'ai subi de la discrimination lors de mes entretiens d'embauche. Depuis, je me présente sans voile. J'ai aussi été victime d'insulte ou de rejet dans certains endroits et parfois des endroits ludiques comme les salles de sport. Depuis, je réinvente ma façon de porter le voile… mais un turban sur la tête d'une arabe reste un voile islamique… On se demande ce qui pose réellement problème : le voile ou mes origines, ou mes convictions tout court…


 


Kahina : La discrimination se manifeste par des réflexions que l’on vous jette au visage dans la rue, les transports en commun; « si vous n’aimez pas la France rentrez chez vous », ou encore « quelle honte ! ». N’importe quelle femme voilée vous le dira, c’est récurrent. Y’a des regards qui en disent plus que les mots : la meilleure des réactions c’est l’ignorance mais on ne va pas se mentir c’est lourd, c’est pesant. On nous reproche notre voile mais ces gens là ne se rendent pas compte du voile duquel ils nous recouvrent au travers de leurs comportements.


 


Baya : Je subis parfois des regards méprisants, des remarques désobligeantes, voire, insultantes, des insultes, je me suis même fait un jour bousculer par une dame aux Galeries Lafayette à Paris. Elle m'a dit "retournez dans votre pays !".


 


Propos recueillis par Nadir Dendoune