Toulouse : un ex directeur de poste, incarcéré depuis plus de deux ans, dénonce un acharnement judiciaire

 Toulouse : un ex directeur de poste, incarcéré depuis plus de deux ans, dénonce un acharnement judiciaire

Redouane Ikil


 


2 ans et deux mois sous les verrous et toujours pas de date de procès. Redouane Ikil, un Français de 43 ans, papa de trois enfants (le dernier a 19 mois), originaire de Pau et habitant de Toulouse, « au casier judiciaire vierge », comme le rappelle sa compagne, n’en finit pas de clamer son innocence. 


 


Interpellé le 15 avril 2014, cet ancien directeur de poste est incarcéré à la prison de Montpelier, « à 25O kilomètres de sa famille », déplore ses proches. Redouane Ikil est accusé d'être le cerveau de deux braquages d’agence postale avec séquestration, survenus le 6 mars 2012 et le 2 mai 2013.


Retour sur les faits


6 mars 2012. Une employée du bureau de Poste de Bellefontaine est surprise chez elle. Après l’avoir ligotée, un individu encagoulé l’asperge d’essence et l’amène sur son lieu de travail. La jeune fille n’a pas d’autre choix que d’ouvrir le coffre. 360 000 € seront dérobés ce jour là. Elément important : à la date des faits, Redouane Ikil ne travaillait plus pour cette poste depuis trois mois.



En mai 2013, un deuxième braquage a lieu. Cette fois-ci, dans une autre agence : celle de Saint-Cyprien. Là encore, une employée est amenée de force sur son lieu de travail. Cette fois-ci, la police, au courant, attrape un présumé guetteur et retrouve un peu plus loin une voiture contenant 150 000 €.



D’abord convaincue de la participation de Redouane Ikil aux braquages, la justice française change d’avis et finit par le mettre en examen pour complicité : le physique du principal accusé ne correspond pas aux témoignages des victimes. D’autre part, le jeune homme ne se trouve pas dans la région de Toulouse au moment des faits. Malgré ces éléments à décharge, la justice est persuadée que Redouane Ikil a joué un rôle essentiel dans ces deux braquages.



L'histoire de Redouane Ikil commence pourtant comme un conte de fées. Il entre par la petite porte à la Poste en septembre 1998 comme apprenti conseiller financier. Grâce à sa ténacité et son sérieux, Redouane gravit les échelons, devient conseiller en immobilier, avant de se voir proposer un emploi de directeur. Pas n’importe où : dans l’agence de Bellefontaine, en plein coeur du quartier du Mirail, un poste qui n’intéresse personne, vacant… depuis dix huit mois. 


« C'était un poste difficile. Il y avait des menaces, des intimidations de toutes parts mais Redouane n'a pas flanché. C'est quelqu'un de moralement fort », confirme Itto, sa compagne. Il est tellement à la hauteur que son supérieur hiérarchique lui propose alors de prendre la tête d'une autre agence, plus grande, plus importante, celle du Mirail-Université. Nous sommes en novembre 2011.


Redouane déménage, vient habiter le quartier du Mirail, tente de créer du lien entre les habitants. Comme il a boxé par le passé en pro, il ouvre même une salle à destination des gamins du coin. « Comme il a eu une enfance difficile, il ne voulait pas que les autres tournent mal. Le jour, il allait travailler, le soir, il donnait des cours de boxe bénévolement aux mômes du quartier », se souvient Itto. Il militait également dans une association de « Chibanis », ces vieux travailleurs immigrés maghrébins. 


Redouane Ikil reçoit plusieurs fois les félicitations de sa direction. « Aujourd’hui, curieusement, elle ne dit plus rien », raille Itto. « Afin de respecter le secret de l’instruction, la direction de La Poste n’a aucune information à divulguer », nous écrit un responsable de la Poste par courriel.


Un soir de janvier 2013, alors que sa compagne est au Maroc pour le décès de son grand-père, deux individus, armés d’un pistolet, débarquent à leur domicile. Ils demandent à Redouane de leur dessiner un plan de la poste où il travaille. « Ils lui ont dit qu’ils s’en prendraient à sa famille si il refusait ou si il allait porter plainte. Ils ont pris des photos de ses enfants et lui ont dit qu’ils connaissaient son adresse à Pau. Redouane leur a donc dessiné un plan » raconte Itto. « Un faux plan », précise la jeune femme. Un plan qui sera retrouvé un peu plus tard chez l’un des suspects où les experts identifient l'empreinte ADN de Redouane Ikil.


Le 15 avril 2014, Redouane est placé en garde à vue. C’est à ce moment là que le jeune homme découvre qu’il a été placé sous écoute peu de temps après le deuxième braquage. « Les écoutes ne prouvent rien », affirme Itto. Les policiers du SRPJ de Toulouse, en charge de l’affaire, croient le contraire, notamment à cause d'un échange par SMS. Le 21 avril 2012, Redouane Ikil reçoit un message sur son téléphone, alors qu'il se trouve dans un centre de thalassothérapie avec son amie de l'époque : « Salam, c'est moi, dis-moi si je peux venir, j'en ai pour trois heures, appelle-moi au 07…».


En pleine construction d'une maison à Pau et croyant, explique-t-il aux policiers, avoir affaire à son électricien, il rappelle et laisse le message suivant : « Oui, tu peux venir, mon frère te récupérera à la sortie de l'autoroute.». « Je peux décoller ? » demande l’interlocuteur. « Oui », répond Redouane. Le rendez-vous n’aura jamais lieu….


Problème : la puce du téléphone qui a servi à le contacter est retrouvée chez un suspect arrêté le 2 mai 2013 à proximité de l'agence postale de Saint-Cyprien qui vient d’être braquée. Chez ce fameux guetteur… Ce fameux guetteur est, lui aussi, comme Redouane, un habitué des rings. C’est là que les deux hommes auraient pu se croiser, pensent les enquêteurs. Ce que ne nie pas Redouane. « Mais je ne lui ai jamais parlé », affirmera le jeune homme à la justice.  Le « présumé guetteur » ne contestera pas cette version.



Pour l’avocat de Redouane Ikil, Me Martin, « ces accusations relèvent du montage intellectuel ». « Redouane n’avait pas mis les pieds depuis 6 mois dans la deuxième agence postale qui a été braquée. Il ne pouvait donc pas savoir qui ouvrait le bureau », note l’avocat. « De fait, il ignorait comment fonctionnaient les alarmes », continue Maitre Martin.


D'ailleurs, en juillet 2015, face au maigre dossier d’accusation, l’avocat général de la Cour d’Appel demande la libération de Redouane. Les proches croient alors à un dénouement. Mais un témoignage de dernière minute dont la fiabilité est dénoncée par le comité de soutien du jeune homme, calme leurs ardeurs. Résultat : c'est au tour du frère de Redouane d'être arrêté. Pour la justice, les deux frères Ikil deviennent alors les cerveaux de ces affaires.


« Depuis son incarcération, 33 demandes de mise en liberté provisoires ont été déposées », rappelle sa compagne. « Elles ont toutes été refusées. La loi permet d’en déposer une tous les 15 jours alors nous continuerons à le faire », promet-elle.  « Je cherche à comprendre pourquoi des détenus sortent avec des contrôles judiciaires et des faits plus solides contre eux », s’interroge Redouane à l’audience du 12 mai dernier. « Je n’ai pas le profil d’un voyou, j’étais un exemple pour le quartier. Bracelet électronique, assignation à résidence… je suis prêt à n’importe quel type de contrôle », déclare alors le jeune homme. Sa compagne ne comprend pas pourquoi Redouane croupit toujours en prison. « Il ne va pas s’enfuir : il a une femme, un gamin en bas âge ».


3 mois avant l’incarcération de Redouane, sa compagne tombe enceinte. Elle était une de ses collègues à la Poste. Ils se sont aimés très vite. De nombreux anciens collègues de Redouane le soutiennent également. « Ils viennent aux audiences, lui envoient des lettres en prison », détaille la jeune femme, touchée par leur bienveillance. « Il est innocent, c’est sûr, c’était un directeur très vigilant sur la sécurité. Il prenait soin de son équipe », précise Yasmina qui a travaillé onze mois à la poste du Mirail-Université avec Redouane, entre février et novembre 2013. « Quel intérêt aurait eu Redouane à participer aux braquages de ces postes ? Ce n’était pas dans ses valeurs », continue encore la jeune femme.


Début 2014, quelques semaines avant son incarcération, et suite à ses bons résultats, Redouane Ikil sera même affecté au très convoité bureau de Tournefeuille. Un poste qu’il n’occupera donc jamais. Aujourd’hui, maman d’un petit garçon de 19 mois, sa compagne organise sa vie autour des parloirs. « J’essaie d’y aller au moins une fois par semaine. En général, le samedi », précise la jeune femme. Soutenue par sa famille, elle essaie de rester optimiste. « C’est difficile mais il faut tenir le coup. Je me dis que bientôt, notre cauchemar va s’arrêter», souffle-t-elle.


Redouane Ikil, 43 ans d’une vie sans histoire risque aujourd’hui les assises et une peine à deux chiffres…


Nadir Dendoune