Syrie : « Lever l’embargo et rouvrir les ambassades »

 Syrie : « Lever l’embargo et rouvrir les ambassades »

Des missiles Tomahawk lancés vers la Syrie depuis un destroyer de l’armée américaine


L’intervention des Etats-Unis en Syrie (6 avril), suite aux très forts soupçons de frappes chimiques de la part du régime sur Khan Cheikhoun (4 avril), permettra-t-elle de faire avancer les choses positivement ? Pour le Collectif pour la Syrie, une telle intervention, sans avoir attendu les résultats d’une enquête pour déterminer les conditions exactes de cette attaque chimique, ne fera rien avancer et pourrait même s’avérer catastrophique pour la suite. Entretien avec le Dr Anas Alexis Chebib, président du collectif pour la Syrie. 


LCDL : La réponse armée des Etats-Unis a-t-elle été trop prompte selon vous ?


A. A. Chebib : Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Vous vous souvenez des armes de destruction massive, en Irak… Il n'y a pas eu de commission d'enquête, rien ne prouve, pour l'instant, l'attaque chimique. Moi, j'ai une version totalement différente. A priori, l'aviation a frappé des centres de munitions des terroristes, djihadistes, dans lequel des armes chimiques étaient stockées. Normalement, quand on lâche une arme chimique d'un avion, ça explose en hauteur, ça ne détruit pas le bâtiment (…) Et je pense que tout ça, ce n'est qu'une suite de pièces de théâtre qu'on vit depuis six ans (…) Je crois beaucoup à la légalité internationale. Jusqu'ici, rien n'a été prouvé. Sous la pression médiatique, nous sommes tous, d'une façon ou d'une autre, manipulés par les uns et par les autres.


Cette intervention du gouvernement Trump peut-elle faire avancer les choses ?


C'est d'une imprudence inégalée. Il ne faudra plus qu'on nous fasse de leçon de morale. Souvenez-vous des attaques au napalm au Vietnam. Souvenez-vous de la guerre en Irak. A mon sens, ça ne va rien changer, dans le sens souhaité par Trump et ses alliés. Je suis franco-syrien, je me rends souvent en Syrie et j'ai une autre vision. Je pense qu'au lieu de tomber dans ce piège-là, nous devons tous dénoncer et travailler ensemble pour lever l'embargo qui pèse sur le peuple syrien. Il est en train d'être massacré, assassiné et tué à petit feu. On n'en parle pas ! Lever l'embargo et rouvrir les ambassades (…) Ce qu'il s'est passé en Irak, on est en train de le faire en Syrie (…) Un peuple qui aspire à la paix, souffre. Pas de médicaments, pas de nourriture, pas d'eau, pas d'électricité…


Ce matin (7 avril), suite au bombardement de la base humanitaire syrienne, Daech et le front Al-Nosra ont attaqué de nouveau Palmyre. Parce que cette base sert à défendre la région centrale de la Syrie, Palmyre, Homs… Donc, je ne dirais pas que c'est coordonné mais je me pose la question : « A qui profite le crime ? ». Donc travaillons pour dénoncer l'embargo. On dit qu'il faut des mesures de restriction contre la Syrie mais jusqu'à quand ? Sous prétexte de punir Bachar Al Assad, on est en train de punir 25 millions de Syriens.


La destruction de la Syrie a causé une poussée du terrorisme, une crise des migrants. A l'époque de Saddam Hussein et de Khadafi, qu'on les aime ou pas, il n'y avait pas de migrants, peu de terrorisme (…) C'est pas parce qu'on dit cela qu'on est en train de dire qu'on est pro-régime. Mais c'est aux syriens de décider de l'avenir de Bachar Al Assad.


Quelle serait la meilleure solution pour aider la Syrie aujourd’hui ?


Notre leitmotiv, au départ, c'était réconcilier les Syriens. Parce que nous sommes convaincus qu'il n'y aura pas de paix en Syrie, tant que les Syriens ne seront pas réconciliés avec eux-mêmes. Mais malheureusement, on voit bien que tout cela nous échappe maintenant. C'est une guerre mondiale. Et ce qu'il s'est passé c'est imprudent et je pense que les conséquences ne seront pas négligeables (…) Nous existons depuis le début, depuis 2010-2011. Nous avons envoyé au moins 15 000 lettres, mails et coups de fil aux politiciens, aux médias, ici et ailleurs, pour leur dire que nous croyons beaucoup en la démocratie, à la laïcité et que la démocratie est basée sur la confrontation des idées. Ce n'est pas normal dans un pays comme la France, qu'il n'y ait qu'une seule version qui soit déballée. (…)


Nous ne disons pas que nous détenons la vérité, mais nous avons une autre vision des choses. Une vision qui s'est faite sur le terrain. Nous avons vu l'état de délabrement de la Syrie, un pays qui faisait 7% de croissance par an. Maintenant la moitié des Syriens sont hors du pays, vivent dans la misère. Les infrastructures, les autoroutes, les hôpitaux sont détruits.


CH. Célinain


 Le Collectif pour la Syrie lancera, le 22 avril à Paris, l'alliance pour la lutte contre le cancer en Syrie.