« Sois re-belle et t’es toi » : la motivation d’enfin prendre la parole et de l’assumer
Quand les femmes, dites « des quartiers populaires », (re)prennent la parole pour se raconter sans filtre et sans intermédiaires. « Sois re-belle et t'es toi », pièce de la troupe Kahina et cie, se révèle une véritable affirmation d'un discours féminin qui a du mal à se faire entendre, et ce, depuis des décennies. Salika Amara, militante de l'association Fils et Filles de la République et metteuse en scène de cette pièce, revient avec nous sur cette création collective.
« Sois re-belle et t'es toi », samedi 26 mars à 15h45. MJC Village, 57 rue du Général Leclerc, 94000 Créteil.
LCDL : Comment est née l'idée de cette pièce ?
Salika Amara : Je ne fais que fermer une boucle. En effet, je finalise ce que j'ai commencé dans les années 75, avec la première troupe de théâtre Kahina qui était au départ une troupe d'une dizaine de filles, pour nous rendre visibles dans une société qui ne parlait que de l'immigration au sens masculin du terme. Cette notion largement répandue reléguait nos mères et les jeunes de cette génération aux oubliettes n'étant que de vagues statistiques.
Aujourd'hui, 40 ans après, ce sont les mêmes discours…. Je schématise un peu mais les luttes des femmes de l'immigration, on ne les voit pas, on ne les entend pas sauf pour se poser la question du « voile ou pas voile ? ». Nos mères, nos chibanias sont encore dans l'invisibilité ou seulement visibles pour utiliser les termes analphabètes, soumises, assistées, victimes, voilées…
Pour être visibles dans nos combats il faut s'inscrire dans les mouvements féministes d'aujourd'hui et parler comme elles, montrer ses seins, avoir une barbe (factice) pour être médiatisée, etc…
La scène était donc pour moi la seule issue pour exprimer nos luttes avec ces femmes que l'on dit « des quartiers » et à ce titre d'emblée reléguées à la périphérie…
Pourquoi « Sois re-belle et t'es toi » ?
Reprendre l'adage « Sois belle et tais-toi » en jouant sur les mots allaient de soi. Ce titre s'est donc imposé à moi parce que l'on trouve à la fois les mots belle et rebelle correspondant à ce que nous sommes intérieurement. Et au lieu de se taire, elles le crient sur tous les toits.
Une partie du texte a été écrit collectivement avec elles. Pour ce faire, j'ai organisé un atelier d'écriture et des improvisations en donnant des thèmes comme école, religion, sexualité, politique etc… J'ai repris leurs textes en les théâtralisant. Elles ne disent que ce qu'elles veulent dire et il est arrivé plus d'une fois qu'elles refusent une tirade ; alors c'est une autre qui la reprend parce qu'elle l'assume mieux.
D'où viennent les membres de la troupe ?
Trois d'entre elles viennent de mon précédent spectacle « Responsables mais non coupables » pour toutes les autres, le bouche-à-oreille a fonctionné. Toutes générations confondues, (20 à plus de 60 ans), salariées ou en recherche d'emploi, précaires ou pas, mères de famille pour la plupart… à l'exception d'une, elles viennent toutes de la banlieue (Noisy le grand, Fontenay…) et la majorité de Créteil.
Etait-ce important de regrouper les femmes de tous horizons ?
Ce sont des femmes ordinaires et c'est le hasard qui a voulu cette diversité parce que tout simplement aucune femme ne ressemble à l'autre (sauf à vouloir coller à une gravure de mode). En fait, je n'ai pas fait de casting ou de recrutement. J'ai pris les femmes qui sont venues vers moi et qui acceptaient comme conditions de sacrifier leur dimanche, d'oser monter sur la scène, de dépasser leur gêne (pudeur, trac) pour affronter le public. Et de savoir qu'il n'y avait rien à gagner à faire cela. Chez toutes il y avait la motivation d'enfin prendre la parole et de l'assumer. Elles pouvaient venir aux répétitions avec les enfants s'il n'y avait pas de solution de garde et j'en connais quelques uns qui ont passé bien des dimanche avec nous.
Aujourd'hui que la pièce est présentable je réalise que chacune d'elle est particulière mais elles ont toutes une force de caractère telle qu'il ne faut pas aller « leur chercher des poux dans la tête ». Par expérience, et eu égard à l'autre groupe de Kahina et Cie, une troupe exclusivement de femmes est plus difficile à gérer qu'une troupe mixte. Mais le jeu en valait la chandelle…
En fait, je n'ai pas choisi ; ce sont elles qui ont choisi de travailler avec moi, qui m'ont fait confiance pendant plus d'un an et aujourd'hui on a abouti. Pour certaines venir « répéter » était une « bouffée d'air frais ».
Cette pièce peut-elle être vue comme un plaidoyer pour l'émancipation de la femme ?
Le seul fait que des femmes, des mères de famille, qui ne sont ni comédiennes ni artistes montent sur la scène pour parler d'elles et des autres est déjà une émancipation. Elles ne plaident pas, elles sont « cash » et dans le refus de la condition qu'on leur fait, dans le refus de la façon dont on parle d'elles sans elles… Elles veulent changer le monde qu'on leur construit tous les jours et qui « grignote leurs pensées, leur liberté ».
Au-delà de l'émancipation, elles se livrent au public pour se dégager des préjugés et du regard que l'on porte sur elles et sur toutes ces femmes qui ne correspondent pas aux « normes ». Elles se racontent et se la racontent aussi. Oui, elles sont féminines, féministes à leur manière et dans le combat quotidien qu'elles mènent et qui reste invisible encore aujourd'hui. Etre femme est une lutte et ce dans n'importe quelle société. Elles relèvent donc le défi pour « gagner du terrain » en se livrant sans gêne et sans tabou au public. Elles se questionnent, échangent, se confrontent, se rebellent, souffrent, se font complices mais aussi rient à la vie sans jamais renoncer.
En cette période, le vivre-ensemble est-il la clé pour surmonter les tensions sociales de différentes sortes en France aujourd'hui ?
Justement, elles touchent du doigt les tensions sociales dont elles font l'objet et s'inscrivent dans le refus de continuer à les subir sans rien dire et laisser faire.
Le « vivre- ensemble » est un terme dont on débat depuis plusieurs décennies sans réellement vouloir passer à l'acte. A chaque fois qu'on l'apprivoise, il nous échappe.. C'est un mot qui vient recouvrir les termes d'assimilation puis d'intégration, mais la notion reste la même en ce sens que l'effort, si effort il doit y avoir, est toujours exigé de l'autre. C'est à se demander si les politiques le veulent vraiment ? Or, le vivre-ensemble est avant tout un mouvement réciproque et avec ce qui se passe actuellement en France, à Bruxelles, ou ailleurs.., on a encore beaucoup de travail devant nous pour le rendre crédible vu la montée de partis xénophobes.
La clé réside dans l'attention apportée aux quartiers qui ont été livrés à eux mêmes, laissés à l'abandon économiquement, scolairement, socialement, politiquement….parce que le plus souvent « sans voix » aux élections Aujourd'hui, nous en payons tous le prix.
Propos recueillis par F. Duhamel