Sinan Antoon : « mon livre est une élégie et une célébration de la volonté des hommes »

 Sinan Antoon : « mon livre est une élégie et une célébration de la volonté des hommes »

« Seul le grenadier »


L’écrivain et poète irakien, qui vit désormais aux Etats-Unis, était de passage à Paris hier, à l’Institut du monde arabe, pour recevoir le Prix de la littérature arabe, seule récompense française distinguant cette création littéraire. Interview de l’auteur du roman « Seul le grenadier », un ouvrage qui parle d’émancipation, du poids de la tradition, d’un homme qui tente d’échapper à son destin.


LCDL : Le héros de votre livre, Jawad, est abîmé par l’horreur de la guerre, mais il est debout… comme votre pays et comme ce grenadier. Diriez-vous que vous écrivez sur les ravages de cette guerre mais aussi que vous racontez la vie ?

Sinan Antoon :
Mon livre parle effectivement des hommes, détruits par la guerre, par les politiques et par l’Histoire. Mais il est vrai que j’écris aussi sur l’esprit de résilience au quotidien, sur le combat de ces hommes, comme Jawad, pour continuer à vivre chaque jour. Il n’y a aucune échappatoire pour eux. En somme, mon livre est une élégie mais également une célébration de la force de volonté des hommes.


Ecrivez-vous aussi pour combattre les stéréotypes de la littérature occidentale contemporaine sur la guerre en Irak, avec le héros américain confronté à la sauvagerie du monde et les Irakiens dévolus aux rôles de méchants ?


Nécessairement, les opinions politiques d’un écrivain influencent ce qu’il produit en matière d’écriture mais je ne prends évidemment pas la plume en me disant « je vais détruire ces stéréotypes ». Cependant, inconsciemment, je suis sûr que mes idées se retrouvent dans mon écriture. Il est vrai que l’orientalisme et l’islamophobie sont encore très présents dans certains livres où les Arabes ou les Irakiens sont très mal représentés. Ces stéréotypes sont si stupides et insultants pour l’intelligence.


Ressentez-vous particulièrement cette islamophobie aux Etats-Unis, pays où vous vivez depuis la guerre du Golfe ?


Depuis le 11 septembre 2001, et plus généralement la guerre lancée contre le terrorisme, les stéréotypes se sont renforcés et répandus. Et cela a un lien direct avec la façon dont les Etats-Unis ont répliqué en lançant cette guerre du « bien » contre le « mal ». La situation s’est aggravée.


Je vis et j’enseigne dans ce pays (à l’Université de New York-ndlr), où il y a tant de racisme et de fascisme, pas seulement parmi les couches les plus populaires, mais dans toute la société américaine. On oublie facilement qu’un grand pourcentage d’électeurs de Donald Trump font partie des couches socialement élevées de ce pays.


Mais ce constat ne se fait pas qu’aux Etats-Unis, on peut également le dresser en Autriche, en Allemagne, ou encore, ici, en France. C’est une crise de la culture libérale occidentale. Il serait grand temps de se regarder le nombril et de cesser de blâmer les autres !


Propos recueillis par Chloé Juhel