Redouane Ikil acquitté après 38 mois de prison, mais menacé de licenciement par la Poste
Après avoir été acquitté en première instance, Redouane Ikil, 45 ans, espère pouvoir enfin reprendre une vie normale. Placé en détention provisoire pendant plus de 38 mois, les jurés de la Cour d’assises de Haute-Garonne l’ont reconnu non coupable ce vendredi 30 juin.
En mars 2012, une caissière de La Poste avait été enlevée à la sortie de son domicile. Deux malfaiteurs l’avaient forcé à ouvrir les coffres du bureau de La Poste de Bellefontaine, à Toulouse. Les braqueurs étaient repartis avec 362 000 €. Quatorze mois plus tard, une famille avait été séquestrée à Plaisance-du-Touch (à une quinzaine de kilomètres de Toulouse). La femme du foyer, caissière à La Poste, avait été obligée d’ouvrir les coffres de l’agence de Saint-Cyprien.
Parce qu’il avait travaillé dans ces deux bureaux de poste (il a même dirigé de l’une d’elles), Redouane Ikil avait été accusé par la justice d’être le commanditaire des deux braquages. Des accusations qu’il a toujours niées en bloc. Il y a quelques jours, Redouane Ikil, suspendu pendant sa détention par son employeur, a été convoqué par sa hiérarchie. Elle lui a annoncé, à sa grande surprise, qu’il allait être licencié…
La Poste a été votre employeur pendant 21 ans. Malgré votre acquittement, elle veut aujourd’hui vous licencier…
Effectivement, j’ai été convoqué par mon employeur en vue d’une procédure disciplinaire qui devrait déboucher sur mon licenciement. Je ne comprends toujours pas pourquoi. J’ai toujours été un employé modèle. J’ai été blanchi par la justice, mais visiblement pas par mon employeur ! Pourquoi vouloir me licencier maintenant que je suis dehors et que j’ai été acquitté ? Pourquoi ne l’avoir pas fait avant ? Aujourd’hui, j’ai besoin de sérénité dans ma vie. Reprendre une existence normale. Aller travailler. Je ne souhaite pas entrer en conflit avec La Poste avec qui j’ai toujours eu d’excellentes relations, mais bien entendu, je me battrai jusqu’au bout. C’est une grande histoire d’amour avec elle qui dure depuis 21 ans. J’ai tout donné à la Poste. Ça m’a coûté un mariage. J’ai dû également arrêter ma carrière de boxeur professionnel pour me consacrer pleinement à mon travail. Aussi, je suis très attristé de la tournure des événements. J’ai même proposé d’être muté sur deux autres régions, et occuper d’autres fonctions.
Vous avez passé plus de 38 mois en prison, en détention provisoire, visiblement pour rien puisque la justice vous a acquitté en première instance (NDLR : Le parquet a fait appel, il y aura donc un second procès). Cela fait quatre semaines que vous êtes libre, comment vous sentez-vous ?
Même si je suis libre physiquement depuis un mois, je me sens toujours prisonnier dans ma tête. J’ai eu le bonheur de retrouver ma famille, mes enfants, ma femme, ma mère, mes frères et sœurs. La journée se passe bien, mais quand vient la nuit, je bascule dans les mauvais souvenirs. Ma femme me dit que je fais des cauchemars et que je crie pendant mon sommeil.
Le retour est bien plus dur que je l’avais imaginé. J’ai encore du mal à dormir : je fais entre quatre et cinq nuits blanches par semaine. Je ne vais pas très bien, mais comme j’ai envie de retrouver une vie normale, j’ai commencé une thérapie avec un psychiatre.
Durant le procès, le procureur a requis à votre encontre 30 ans. Peu de personnes pensaient que vous alliez être acquitté. Dans quel état d’esprit vous trouviez-vous au moment du verdict ?
J’étais stressé à n’en plus finir à cause du réquisitoire du procureur de la veille. J’ai été surpris qu’il demande à mon encontre une peine de 30 ans. Parce qu’avant qu’il ne prenne la parole, j’étais assez serein. Avec mes avocats, nous avions démontré à quel point le dossier était vide. Et surtout dénoncé la manière dont il avait été instruit, c’est à dire, uniquement à charge.
Dès le premier rendez-vous avec le juge d’instruction, j’ai su que j’allais en baver. Il m’a dit d’emblée : « vous êtes coupable ». Durant tout le procès, je me suis défendu comme j’ai pu le faire pendant l’instruction. Point par point, j’ai détaillé ma version des faits. Je n’ai rien laissé passer. Je savais que les jurés avaient besoin d’avoir tous les éléments. Je devais démontrer mon innocence, l’accusation ma culpabilité.
Et quand le verdict est tombé ?
J’ai eu l’impression qu’on m’élevait dans les airs, tellement le poids qui pesait sur moi était lourd. J’ai remercié le ciel. Puis, j’ai pris dans mes bras mon avocat Édouard martial pour le remercier. J’ai regardé ma famille, j’ai vu le soulagement dans leurs yeux. J’ai aperçu les larmes de joie inonder leurs visages. Quand le verdict est tombé, je me suis dit « Enfin, tout le monde va entendre que je n’ai rien fait ».
Le parquet a fait appel. Cela vous a-t-il étonné ?
Oui. Parce que ce procès a permis de lever tous les doutes sur ma culpabilité. Ce dossier est trop emblématique pour qu’on me laisse m’en sortir avec un acquittement…
Que retenez-vous de ces 38 mois ?
Pour moi, cette histoire, enfin plutôt ce cauchemar m’a permis de comprendre que personne n’est à l’abri d’une injustice, encore plus si vous vous appelez Redouane ou Mohamed…..Ce malheureux événement m’a appris la patience, mais aussi la persévérance. Je n’ai jamais abandonné, car je suis innocent. Je savais au fond de moi que les jurés verraient la vérité et qu’ils ne se laisseraient pas berner par le dossier à charge du juge d’instruction. Et puis, je retiens aussi de ces longs 38 mois de belles rencontres faites en prison. Des détenus comme des surveillants : beaucoup ont été très bienveillants à mon égard. La prison est un univers très violent. Mais malgré la misère sociale, il vous arrive de croiser des gens remarquables, qui ont eu juste un accident de parcours.
Propos recueillis par Nadir Dendoune