Pour expulser un Algérien, la police française l’équipe d’une « muselière »
Sans la réactivité et le téléphone portable d'un passager, cette atteinte aux droits de l'homme aurait été inconnue du plus grand nombre. Le 3 décembre, un voyageur d'un vol Paris-Alger a réussi à prendre quelques clichés d'un ressortissant algérien assis à quelques sièges de lui. En plus des habituelles menottes, on voit "le refoulé" portant un casque matelassé et un masque chirurgical devant la bouche couvrant en grande partie son visage, faisant penser à une muselière. Deux policiers en civil sont assis à ses côtés et l'escortent. Une scène humiliante et dégradante.
"Pourquoi m’avez-vous mis ça ? Je ne suis pas un chien, je suis comme les autres voyageurs", a-t-il dit dans mon souvenir. Avec mes deux voisins de rangée, nous avons alors signalé notre mécontentement et demandé aux policiers de lui enlever le casque. Ils nous ont dit non, que le détenu risquait de les frapper ou de leur cracher dessus", a déclaré un voyageur à nos confrères de France 24. "Voyant que les autres passagers étaient indifférents et que les policiers étaient professionnels, nous n’avons pas insisté".
La situation se serait alors envenimée quand une autre passagère est intervenue pour déclarer publiquement "qu’il ne fallait pas soutenir ce détenu, mais plutôt les policiers qui font un travail difficile". Le "refoulé" se serait alors emporté et aurait insulté tous les passagers, s’insurgeant contre leur indifférence.
"Il n’a pas fait de mouvement brusque et n’a pas essayé de se débattre, il a juste exprimé sa colère", témoigne un passager.
Un autre voyageur se souvient : "Ce qui m’a le plus choqué, c’est que personne dans l’avion n’a réagi, à part moi et les deux personnes de mon rang. Cet homme était pourtant menotté dans le dos et portait un genre de muselière, comme un chien. On voyait à peine son visage, c’était assez choquant et humiliant". "Au début, j’ai pensé que les policiers lui enlèveraient tout ça une fois que l’avion aurait décollé. Mais en fait, non. Le détenu était parfaitement calme, il a protesté une fois contre le casque et s’est emporté quand cette dame l’a provoqué", continue le passager.
L'utilisation de ce casque est-elle légale ? Dans une instruction émise par la Direction générale de la police nationale en 2003, portant sur les éléments utilisables pour maintenir un "détenu récalcitrant", aucune mention n’est faite d’un masque ou d’un casque. Il est clairement détaillé que seules les menottes, bandes velcro et ceintures de contention sont utilisables par les escorteurs.
Contacté par la rédaction de France 24, le ministère de l'Intérieur estime que le casque "n'est actuellement proscrit par aucun texte" et que son usage "sera expressément prévu dans la prochaine instruction sur l'éloignement en cours d'écriture". Nos confrères ont demandé au ministère de fournir des documents juridiques prévoyant clairement son utilisation, ce qu’il n’a pas été en mesure de faire…
Le ministère a par ailleurs indiqué que le casque servait à protéger le passager de lui-même, pas à l’entraver, et que le maintien du casque tout au long du vol était "très exceptionnel", mais justifié par l’état d’agitation du détenu. Celui-ci "s'était signalé en CRA (NDLR : centre de rétention administrative) par un comportement particulièrement violent nécessitant plusieurs mises à l'isolement. Il a insulté les policiers et les passagers durant tout le vol et a dû rester menotté", détaille le ministère en référence au rapport fourni par les deux policiers présents à bord.
Cette version des faits ne correspond pas aux témoignages des passagers, qui affirment que le détenu était la plupart du temps calme et silencieux, hormis un moment de colère qui a duré environ cinq minutes…
Pour le Défenseur des droits, cette pratique est choquante en soi : "l’utilisation de ce casque n’a pas de base légale. Les autorités jouent sur les mots en disant que ce casque sert à protéger le détenu, mais nous le considérons comme un moyen d’entrave. Utilisé ainsi, comme des menottes, il est illégal. Dans les lieux de privation de liberté, l’usage de ce type de casque existe et doit être encadré". Avant de conclure : "dans un lieu public, comme un avion, devant des dizaines de passagers, il s’agit d’un traitement inhumain et dégradant. Notre position est très claire : nous sommes contre son utilisation lors des reconduites".
Nadir Dendoune