« Pas « une crise des migrants » mais une crise de l’accueil des migrants »

 « Pas « une crise des migrants » mais une crise de l’accueil des migrants »

Djamel Cheridi


 


Djamel Cheridi est directeur de l’hébergement et du logement accompagné chez Coalia, anciennement l’Aftam, qui se charge, notamment, de trouver des places d’accueil  pour les migrants.  Il nous fait part de la situation en France et de son inquiétude face à la montée du populisme en Europe.


 


LCDL : En quoi consiste votre rôle de directeur de l’hébergement et du logement accompagné chez Coalia ?


Djamel Cheridi  : Il s’agit d’une direction de l’ingénierie sociale dédiée à l’accompagnement des projets de développement de l’association dans le secteur de l’hébergement et du logement accompagné. Le logement en foyer, les foyers de travailleurs migrants, les résidences sociales… 


Et dans le secteur de l’hébergement nous menons des projets de développement, de création de nouvelles structures, d’extension des structures existantes.


On anime également le réseau des professionnels de terrain en leur apportant un appui méthodologique et technique.


 


N’est-il pas trop compliqué de créer autant de places d’hébergement pour les migrants en si peu de temps ?


C’est toujours compliqué. Les besoins sont très importants. Créer des places dans des délais très rapides n’est pas chose aisée. L’avantage que nous avons, c’est notre implantation sur le terrain, dans une dizaine de régions.


Nos collègues, par les activités que l’on mène au quotidien, ont pu nouer des partenariats avec des collectivités territoriales ainsi qu’avec des organismes de logements sociaux et des bailleurs.


On active l’ensemble de ces partenariats pour trouver des opportunités de logements pour faire de l’hébergement ou des structures collectives que l’on va louer, voir que l’on achète pour les transformer en lieu d’hébergement. Parfois des anciennes maisons de retraites, des anciens foyers ou des grandes maisons à restructurer pour créer de la capacité d’hébergement.


 


Comment réussir à valoriser les compétences des réfugiés et leur permettre une bonne intégration ?


La principale difficulté ne réside pas dans les personnes, car ce sont des gens qui ont envie de reconstruire une nouvelle vie en France après une longue attente. Ils veulent juste que leurs enfants puissent être scolarisés, qu’ils puissent travailler…


Problème, ils sont confrontés àla barrière de la langue, l’apprentissage se fait dans des délais trop longs. Il n’y a pas de dispositif de formation en français et en langues étrangères pour les demandeurs d’asile de droit commun, ils y accèdent au moment où ils sont réfugiés. Durant des années ils vivent sans pouvoir apprendre le français hormis grâce à certaines associations qui à titre bénévole donnent des cours d’alphabétisation ou d’apprentissage linguistique.


Il est aussi très compliqué, voire, impossible d’organiser l’équivalence de diplôme. Ca oblige à une reconversion professionnelle qui ne se fait pas nécessairement par le haut. Le médecin qui veut exercer ne pourra pas sauf si il reprend ses études. Compliqué quand on est chargé de famille et qu’on a besoin de travailler.


 


La France attire de moins en moins les réfugiés, le gouvernement met-il réellement tout en place pour relever le défi de l’intégration des migrants ?


Pendant longtemps la France était la première destination en UE d’arrivée de demandes d’asiles, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a eu une politique qui visait à faire en sorte que la France soit moins attractive.


Jusqu’à 2012 l’accent était mis sur la création de places d’hébergement d’urgence dans des dispositifs hôteliers, avec accompagnement  très faible, voire inexistant. Il y avait peu de places en CADA (Centres d’Accueil pour demandeurs d’asile), seulement 1000 créées entre 2007 et 2012. Alors qu’entre 2012 et 2016 il y en a eu 15.000.


Le climat politique en France est peut-être aussi de nature à décourager.  Au gré des différentes échéances électorales, on a vu clairement une montée en puissance du FN. Quelques mois après l’effervescence médiatique autour de la photo du petit Aylan sur la plage, tout était retombé et plus de la moitié des sondés ne voulait plus de demandeurs d’asile en France. Ce climat, on le voit concrètement dans le cadre de nos activités.


Nous avons beaucoup plus de difficultés aujourd’hui qu’il y a 10 ans à convaincre des élus d’accepter l’installation d’un centre pour des migrants. Il y a aussi beaucoup de communes et d’élus qui se sont engagés, heureusement. Sinon nous n’aurions pas pu accueillir 766 personnes, près de 200 familles de réfugiés syriens, on n’aurait pas créé 500 places de CADA l’an dernier et 1000 cette année.


 


Le récent Brexit, nourri par l’épouvantail de l’immigration, et la montée du populisme en Europe, vont-ils pousser l’UE à se montrer moins accueillante ?


Il y a des risques et des mouvements de fermeture en ce sens. On le voit dans cette montée des intolérances vis-à-vis des migrants. Cette peur de l’arrivée des migrants, utilisée, instrumentalisée. Je prône la plus grande vigilance quand on parle de "crise des migrants". C’est d’avantage une crise de l’accueil des migrants.


Il est certain que les flux de réfugiés en direction de l’UE sont à priori les plus importants depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En 2015, un peu plus d’un million de personnes ont franchi les frontières européennes. Il faut remettre ce chiffre en perspective. Il y a 60 millions de déplacés dans le monde, un million pour l’Europe, c’est largement envisageable.


L’UE doit être une terre de refuge plutôt qu’une terre d’accueil. Aujourd’hui il y a des actes clairs de fermeture, comme les barrières dans les pays de l’est de l’Europe pour empêcher les migrants de passer. Comme cette loi récente au Danemark de confisquer les biens aux personnes après un certain seuil de ressources.


Ces initiatives justifient qu’on puisse s’inquiéter et c’est aux pays qui restent attachés à cette tradition d’accueil de ne pas céder et d’affirmer avec force l’obligation éthique et morale d’accueillir ceux qui sont persécutés et qui craignent pour leur vie. 


 


Propos recueillis par Jonathan Ardines