Parler français sur les chantiers : la « clause Molière » ou la dérive identitaire de la campagne électorale

 Parler français sur les chantiers : la « clause Molière » ou la dérive identitaire de la campagne électorale

Plusieurs villes et régions principalement dirigées par la droite imposent désormais l’usage de la langue de Molière sur les chantiers. Fethi Belaid/AFP


Le débat sur la « clause Molière », qui vise à imposer le français sur les chantiers dans certaines régions, a pris de l'ampleur mardi à quelques semaines de la présidentielle avec la prise de position du Medef et de plusieurs syndicats. Plusieurs régions principalement de droite (Ile-de-France, Hauts-de-France, Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes…), mais aussi des villes ou départements (Haut-Rhin), ont imposé l'usage de la langue de Molière sur les chantiers dont ils sont maîtres d'œuvre.


Dénonciation commune du patronat et des syndicats


L'obligation pour les ouvriers de parler français, ou pour les entreprises d'employer un traducteur, est présentée comme un moyen de réduire la distorsion de concurrence entre les entreprises nationales et étrangères, rendue possible par le travail détaché. Dans le BTP, « une entreprise gagne un marché en faisant des prix anormalement bas, puis fait appel à des sous-traitants étrangers pour pouvoir s'en sortir », s'est ainsi justifié Hervé Morin, président UDI de la Normandie.


Si la mesure est saluée par les artisans du bâtiment, au nom de la lutte contre le « dumping social », elle est en revanche contestée par le Medef. « Vous commencez comme ça, et puis après vous commencez à faire du favoritisme, et puis ensuite vous fermez les frontières françaises, et puis vous finissez par sortir de l'euro », a averti mardi Pierre Gattaz, conspuant une dérive « nationaliste ».


La CFDT y voit une mesure qui « ne règle en rien la question du travail illégal », quand la CGT dénonce une intention « purement électoraliste » visant à marcher sur « les traces du Front national », partisan de la préférence nationale. Il est « dommageable et même périlleux que ceux qui se prétendent de la droite républicaine suivent ces traces-là », a insisté mardi le numéro un de la CGT, Philippe Martinez.


 


Une mesure « discriminatoire » pour le gouvernement


En Ile-de-France, le groupe Modem du conseil régional s'est opposé à cette mesure, car elle vise aussi « nombre de travailleurs étrangers issus de l'immigration légale, dont les réfugiés, pour lesquels le travail est un vecteur d'intégration et d'apprentissage de la langue française ».


La mesure « est discriminatoire » et « ne respecte ni la législation, ni la Constitution française » a assuré mardi sur Twitter la ministre du Logement, Emmanuelle Cosse. Les collectivités n'ont pas le pouvoir d'effectuer des contrôles, ni d'imposer des sanctions en cas d'infraction, font valoir les opposants.


« Les décideurs publics doivent cesser de se retrancher derrière le juridisme pour en faire l'alibi de leur impuissance ou de leur inaction », a répondu le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez (LR), en pointe sur la question.


Au-delà des questions politiques et juridiques, les opposants à la clause Molière s'inquiètent d'un possible retour de bâton « pour les travailleurs détachés français qui sont presque 200 000 à l'étranger », selon la députée européenne Mme Morin-Chartier. Encadré par une directive de 1996, le détachement permet à une entreprise européenne d'envoyer temporairement ses salariés en mission dans d'autres pays de l'UE, en respectant le salaire minimum du pays d'accueil notamment, mais en payant les cotisations sociales dans le pays d'origine.


Rached Cherif