« On a le droit de perdre ses parents. Pas ses enfants », Salah Zaouiya, papa de Jawad, décédé il y a 20 ans
Le 23 juillet 1996, Salah Zaouiya perd son fils. Jawad, alors âgé de 19 ans, décède dans l'incendie de sa cellule à la prison de Bois-d'Arcy. L’administration pénitentiaire répétera au papa que la mort de Jawad, c’est "la faute à pas de chance". Mais Salah n’y croit pas. Alors, il se bat. Douze ans après le drame, la responsabilité de l'Etat dans la mort de Jawad est enfin reconnue.
« Le danger provoqué par la combustion des matelas en mousse comme la fréquence des incidents provoqués par des détenus enflammant leur matelas, étaient connus de l'administration pénitentiaire sans que celle-ci ait mis en œuvre de dispositions préventives appropriées" souligne un arrêt de la Cour d’appel de Versailles. Aujourd’hui, les yeux de Salah Zaouiya, retraité de 68 ans, sont toujours remplis de tristesse. « On a le droit de perdre ses parents. Pas ses enfants », dit-il de sa voix rocailleuse.
Ce samedi 4 juin, comme chaque année, il organise à 14h à l’Espace Rodin, dans son quartier du Val Fourré à Mantes-La-Jolie (78) une commémoration. Cette année, elle a une saveur particulière : cela fait 20 ans que Jawad est mort….
Pourquoi est-ce si important de vous retrouver chaque année ?
C’est d’abord un hommage contre l’oubli. Depuis le début, nous martelons le même message : plus jamais ça ! Nous nous réunissons chaque année pour répéter aux jeunes que la prison, ce n’est pas ce que certains racontent. Ce n’est pas un lieu où on fait du sport, où on regarde la télé, où on se fait des copains. La prison, c’est d'abord un endroit difficile. Où les rapports humains sont difficiles.La prison, c’est aussi cette première nuit où ceux qui arrivent sont souvent désespérés. Ou il peut arriver beaucoup de choses…
Le fait de vous retrouver tous ensemble vous donne-t-elle l’impression que Jawad est là encore là ?
Oui, effectivement. C'est surtout un moment de retrouvailles avec la famille mais aussi tous ses amis qui sont aujourd’hui devenus des hommes. Certains ont des enfants. Et de les revoir tous, fait bien entendu, chaud au cœur. Jawad vit toujours à travers eux. Je suis aussi un peu triste. Et c’est normal : je me dis que mon fils Jawad aurait eu 39 ans aujourd’hui. Il aurait peut-être été marié, aurait eu des gamins…
Le vernissage de l'exposition mardi 31 mai, « Mémoire pour Jawad » a été aussi un moment fort…
Oui. Vous savez, je ne pleure jamais. J’ai dû pleurer une fois dans ma vie. Mais mardi, le fait de voir toute ma famille réunie, j’ai craqué. Mon fils Younes est quelqu’un de réservé. Je suis parti aux toilettes me sécher les yeux. Il m’a suivi et m’a serré dans ses bras. Il ne l’avait jamais fait auparavant.
Qu’est-ce qui vous a fait tenir toutes ces années ?
D’abord, le combat. Le mien. Je voulais que l’Etat reconnaisse ses erreurs. Avec le MIB (Le mouvement Immigration Banlieue), à mes côtés, nous n'avons rien lâché et nous avons obtenu gain de cause.
Mon combat continue encore aujourd’hui. Pour que plus aucun détenu ne meure en prison.Mais aussi contre les violences policières qui touchent en particulier les jeunes des quartiers populaires.
Et puis j’ai huit autres enfants. Et aujourd’hui, je suis même grand-père de huit petits enfants. Alors, je suis quand même quelqu’un de comblé.
Propos recueillis par Nadir Dendoune