France/Niger. Paris et l’Afrique réelle

 France/Niger. Paris et l’Afrique réelle

Des manifestants brandissent une pancarte anti-France lors d’une manifestation organisée à l’occasion de la fête de l’indépendance à Niamey, le 3 août 2023. La France a exigé des garanties de sécurité pour les ambassades étrangères, alors que certains pays occidentaux ont réduit leur présence diplomatique. Photo : AFP

On connaît la chanson : à chaque fois que la France se fait bouter hors d’un pays d’Afrique, aux cris d’orfraie du Quai d’Orsay se joignent les gesticulations de l’Élysée pour dénoncer la main de Poutine.

C’est vrai qu’on ne peut que comprendre que le ministère français des Affaires étrangères ait demandé « aux forces de l’ordre nigériennes de prendre les dispositions nécessaires pour s’assurer que la sécurité des emprises diplomatiques étrangères à Niamey, particulièrement celles de la France, sera pleinement garantie », lors de manifestations prévues ce jeudi 3 août dans la capitale nigérienne ».

C’est aussi malheureux que des manifestations violentes contre l’ambassade de France dimanche dernier à Niamey ait conduit, mardi, le gouvernement français à lancer une opération d’évacuation de ses ressortissants, et enfin on ne peut que compatir à ces milliers de Français contraints de ramasser leurs bagages à la hâte pour être évacués. Sauf que ces confrontations meurtrières dont le théâtre est toujours une capitale africaine, la France va en voir de plus en plus, en attendant que la contagion n’atteigne le Maghreb.

L’Hexagone a beau crier sur tous les toits que Paris ne reconnaît pas les nouveaux maîtres de Niamey, mais le putsch en lui-même illustre parfaitement la gifle assénée aux Français dans une région où elle pensait encore avoir pied avec ses 1 500 militaires, dénoncés d’ailleurs par le Comité national de sauvegarde de la Patrie (CNSP).

Détail qui vaut son pesant d’or, le nouveau maître des lieux, le général Salifou Modi n’est pas passé par l’école de Saint-Cyr, comme ses nombreux compatriotes. Il a été formé au Maroc et au Cameroun. Et malgré ses rapports cordiaux avec les officiers occidentaux, à commencer par les militaires français, l’officier supérieur caressait depuis longtemps le rêve de voir son pays échapper à la tutelle pesante de la France.

Depuis le putsch, il est derrière la coordination des mouvements « anti-impérialistes » dont le M62, coordonné par Mahaman Sanoussi. Conscient que le changement de régime ne peut être mené à terme sans l’assentiment des populations civiles, Salifou Modi multiplie les rencontres à son domicile avec des représentants des mouvements de la société civile.

La question qui se pose alors, c’est : pourquoi la France et uniquement la France est-elle autant honnie en Afrique ?

>> A lire aussi : France/Afrique. L’heure des indépendances a sonné

Comment se fait-il que son aveuglement postcolonial ne soit pas l’objet d’un réveil qui mettrait fin à cet anachronisme historique où la présence française continue à se décliner en interventions militaires, quand ce n’est pas par le biais d’entreprises tricolores qui continuent à rapatrier des bénéfices scandaleux sans se soucier du regard interne des élites et des populations de ces pays.

La réalité, c’est que l’Afrique ne veut plus s’aligner sur une grande puissance, quelle qu’elle soit et surtout pas l’ancien colon.

Comment ce pays, malgré des signaux forts de rejet, a continué à se croire chez lui en Afrique ? Une France à l’arrogance légendaire y compris dans ses interventions militaires : Kadhafi élève le ton,  Nicolas Sarkozy lui colle plusieurs balles dans la tête après avoir mené en solo deux opérations militaires tambour battant. Résultat : le chaos règne désormais à Tripoli.

En Côte d’Ivoire, les Africains ne retiennent que l’humiliation du président Laurent Gbagbo, traqué jusque dans sa résidence bunker par les barbouzes de la force française Licorne. Sait-on que le franc CFA des « colonies françaises d’Afrique » est toujours le franc de la « Communauté financière africaine », toujours contrôlé par le Trésor français, alors que les entreprises françaises bénéficient toujours de contrats préférentiels ! Là où Paris passe, tout trépasse comme dans les mauvais films de western spaghetti.

Pourtant les trente glorieuses de la France en Afrique, où le pétrole du golfe de Guinée (Gabon, Congo, Cameroun), où l’uranium du Niger et du Gabon étaient pillés sans vergogne par Paris, devraient appartenir désormais au passé.

Au lieu de prendre le taureau par les cornes et engager le débat avec les forces vives de ces pays africains pour envisager de nouvelles relations, alors que tout le monde se presse au portillon pour courtiser les nations africaines, en France (et en Europe), on cherche toujours la main du vilain Poutine derrière ce rejet de la France en Afrique.

Au point où les agents du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) s’échinent à mettre sur pied leur unité de contre-ingérence consacrée à l’Afrique. Un service piloté par Lutz Gullner, avec une vingtaine d’analystes, chargé de lutter contre la désinformation russe.

En France, tout le monde est sur le pied de guerre pour traquer les journalistes, polémistes, intellectuels et autres influenceurs, soupçonnés de véhiculer les thèses de Moscou pour une raison ou une autre.

>> A lire aussi : France/Afrique. Le grand malentendu