Moussa Lebkiri : comédien et conteur iconoclaste
« Jongleur de mots », c'est ainsi qu'il se définit. Moussa Lebkiri, comédien et conteur, est un véritable amoureux de la langue française et la langue, il ne l'a jamais eu dans sa poche tout au long de ses quarante ans de carrière. Héritier de l'oralité berbère, il est à l'affiche cette année d'un spectacle intitulé « Maghrébien que mal, le Cyrano de Berbèrac » (le 14 mai au Réservoir, Paris). Interview de ce personnage haut en couleurs qui dénote dans l'univers du conte, Moussa Lebkiri.
LCDL : D'où vous vient cet amour des mots ?
Moussa Lebkiri : Etant un être appartenant à un peuple d'oralité que sont les berbères, je renoue avec une tradition orale qui est celle de la parole, du conte. Cette parole n'est jamais figée, elle est caméléon, elle épouse l'instant (…) Je suis né en Kabylie. Jusqu'à 9 ans j'étais imprégné du berbère, de son oralité. J'ai toujours entendu la parole de ma mère, de ma grand-mère, baignée par les contes. Puis j'arrive en France et je suis complètement tombé amoureux de la langue française. J'ai même eu la chance de rencontrer le héros de la grammaire qui est monsieur Bled.
Comment êtes-vous passé de cette passion pour le conte à en faire votre métier ?
J'ai appris mon métier de comédien dans la meilleure école, celle de la rue, pas de murs, pas de maître. J'ai fait mon métier de comédien puis je suis arrivé aux contes, parce que sur les tournées je racontais des histoires, pour faire passer les kilomètres. On me disait mais pourquoi tu ne racontes pas ça sur scène. Je me suis rendu compte que je renouais avec l'ancestral, la parole, celle du conteur, du griot.
Passe-t-on facilement du théâtre aux contes ?
Dans les années 90, il y avait une sorte d'effervescence autour de la parole avec Gougaud, Chabrol… et il y avait un renouveau du conte qui s'imposait dans les théâtres. C'était fermé. On n'acceptait que les conteurs, les gens qui venaient du théâtre étaient mal vus. Il faut différencier la parole contée de la parole du théâtre. La parole du Théâtre créé une distance. Le conteur abolit la distance, c'est une parole intimiste. Dans les années 90, des comédiens voulaient aller aux contes parce que c'était
« rentable », et qui se sont complètement plantés.
L'image du conte comme étant un art pour enfants est-elle dépassée ?
Le conte, on lui a donné le mauvais rôle. On a dit que c'était les petites fées… Mais à l'origine, le conte était beaucoup plus hard. L'histoire originale du petit chaperon rouge, c'est complètement pornographique. Après il y a eu les frères Grimm, Charles Perrault, qui ont édulcoré les contes pour les faire rentrer dans les foyers. On lui a enlevé toute sa quintessence, sa valeur. Mais le conte n'a jamais été fait pour les enfants.
Il y a une sous-lecture du conte. Dans mon spectacle « Maghrébien que mal », j'ai un loup d'origine basanée qui s'énerve sur la maison des trois petits « halloufs ». Je me sers de l'histoire de Perrault pour mettre mon loup à une sauce actuelle. A savoir un loup étranger dans un bois national avec un prince FN, qui ne tolère pas un étranger sur son territoire national. De plus, ce loup mange les cochons ! On pense que tous les loups maghrébins sont musulmans, mais pas du tout. J'aime bien dérouter les gens.
Vous êtes souvent comparé à Raymond Devos pour votre écriture. Qu'en pensez-vous ?
Tout le monde se prétend héritier de Devos, de ceci, de cela. Tant qu'on ne le dit pas de soi-même et que ce sont les autres qui le disent, ça va. Ça marque une stagnation quand même. On est ce qu'on est. Quand on me dit le Devos Kabyle, ça me flatte. Mais je suis Moussa Lebkiri, avec mon verbe, mon histoire, mon passé, mes racines. C'est ce qui fait que je suis ce que je suis.
Propos recueillis par CH. Célinain