« Monsieur Jean » ou la saga d’une tragédie familiale
Ce livre, c’est l’histoire de cette famille dont « chaque membre se vit comme un étranger parmi les siens ». Un père malheureux et violent, une mère qui subit sa vie telle une malédiction. Et Edouard, le fils, qui se fraye un chemin avec le poids de cette tragédie dont personne ne parle.
Comprendre d’où l’on vient pour savoir où l’on va. C’est un peu la difficile histoire d’Edouard, ce héros qui tente de se construire au sein d’une tragédie familiale dont il ne connaît rien, ou si peu. Sa mère, il l’a toujours connue mutique et la devinait malheureuse. Son père n’allait pas mieux, si ce n’est qu’il exprimait « l’amertume de son existence », sa frustration et sa rage par le biais de ses poings et de ses cendriers qu’il remplissait à ras bord. Son frère et sa sœur, partis vivre en Israël pour se fondre dans une religion qu’Edouard ne pratique pas. Il n’en pratique d’ailleurs aucune, « la fibre religieuse lui manquait et plus encore le sentiment mystique », il n’a jamais su se reconnaître, ni dans la religion juive de sa mère, ni dans la religion musulmane, au grand désespoir de son père.
Prisonnière d’un maléfice
Au fil des pages, on découvre l’histoire tragique de ce couple qui n’aurait jamais dû en être un. Myriam, la mère d’Edouard, est née à Oran. Elle déteste son père, qu’elle juge lâche parce qu’il refuse son identité religieuse et rejette ce grand-père que Myriam aime tant. Alors elle part et croise la route de Riade. Lui vient de la montagne berbère. Il a quitté son village pour s’engager dans les forces françaises. Ce couple se formera dans la violence et restera soudé dans la terreur, jusqu’à la France et l’arrivée de leurs trois enfants.
Myriam ne quittera jamais Riade, « prisonnière d’un maléfice » qui la paralysait, façon paradoxale pour elle de se sentir exister. Edouard apprendra l’histoire de sa mère, cette « survivante », sur son lit de mort.
Discuter avec le silence
Il y a surtout ce père dont il a découvert « l’incroyable fausseté » et dont la figure s’est effondrée le jour où Edouard a épié une conservation téléphonique qu’il était censé avoir avec un client… pour se rendre compte que son paternel ne discutait en fait qu’avec le silence. A l’inverse peut-être de ce « Monsieur Jean », sorte de bienfaiteur dont Edouard croisera la route plus tard, adolescent, et qui lui ouvrira les portes de sa bibliothèque alors que l’adolescent était venu le cambrioler.
Chloé Juhel
« Monsieur Jean » de Gérard Haddad, paru aux éditions Hémisphères