Migrants à Calais : l’odieux dialogue entre le gouvernement et Eurotunnel
Le ton est monté mercredi entre Paris, Londres et Eurotunnel face à « l'explosion » des tentatives d'intrusion de migrants dans le tunnel sous la Manche, le groupe disant avoir intercepté par ses propres moyens plus de 37 000 clandestins en près de 7 mois et renvoyant la balle aux pouvoirs publics. Une tension diplomatique symptomatique de la faillite de la gestion migratoire à la frontière franco-britannique.
Eurotunnel fait la police
Depuis début juin, les candidats à l'exil vers la Grande-Bretagne depuis Calais se sont reportés sur le site du tunnel après des travaux de sécurisation du port avec des barricades et des fils barbelés rendant plus difficile l'accès aux camions qui embarquent sur les ferries. « En toute discrétion, Eurotunnel a intercepté, depuis le 1er janvier, par ses moyens propres plus de 37 000 migrants qui ont été remis aux forces de l'ordre, et a déposé des milliers de plaintes systématiquement classées sans suite par le procureur du tribunal de Boulogne », a indiqué mercredi l’entreprise.
Mercredi, un migrant est décédé lors d’une tentative de passage par le tunnel. Il s'agit de la neuvième personne décédée aux environs du site depuis le début du mois de juin alors que les intrusions massives et quotidiennes de migrants avaient connu la veille un pic avec environ 2 000 tentatives. « La pression qui s'exerce maintenant chaque nuit dépasse ce qu’un concessionnaire peut raisonnablement faire », plaide l'exploitant en appelant « à une réaction appropriée des États » français et britannique.
Neuf morts en huit semaines
Selon Eurotunnel, plus de 160 millions d'euros, dont 13 millions d'euros au premier semestre 2015, ont été investis par le groupe « dans les moyens physiques (clôtures, éclairages, caméras, barrières infrarouges) et humains de protection du terminal de Coquelles ». « Les effectifs de gardiennage ont été doublés, pour atteindre près de 200 personnes », a ajouté le groupe.
Loin de remettre en question son action concernant la question migratoire, le gouvernement a appelé l’entreprise à faire plus. « Le groupe Eurotunnel doit également prendre ses responsabilités », pour la sécurisation du site, a-t-il répondu mercredi le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve. Il a cependant annoncé la mobilisation temporaire de deux unités de forces mobiles.
Envoyer l’armée britannique ?
Mardi, la question avait été au cœur de la rencontre entre M. Cazeneuve et son homologue britannique à Londres. Le Royaume-Uni s’est engagé à apporter 10 millions d’euros supplémentaires dans le cadre de la coopération franco-britannique sur le Calaisis. Ces 10 millions s’ajoutent aux 15 millions d’euros mis en œuvre dans le cadre de la déclaration conjointe de septembre dernier, dont 4,7 millions ont d’ores et déjà été consacrés à la sécurisation du site d’Eurotunnel.
Face à la crise, un député britannique du parti d’extrême droite UKIP a même suggéré au Royaume-Uni de « reprendre Calais » dans un tweet repris dans les tabloids. Suzanne Evans, députée du même parti, se demande ce qu'attend l'armée anglaise pour intervenir. Une proposition dont s’est fait écho le Daily Mail qui titre « Envoyez l’armée » en se demandant pourquoi l’Angleterre qui a « empêché Hitler d’entrer n’arrive pas à stopper quelques milliers de migrants. »
Conditions de vie indignes en France
De leur côté, les associations dénoncent les importantes sommes mobilisées pour les mesures de protection au détriment de l’accueil des migrants. « Quand il y a une catastrophe au Népal ou en Haïti, la France sait intervenir. Mais pas à Calais », explique Jean-François Corty, directeur des opérations France de Médecins du Monde (MDM) à Médiapart.
Avec trois autres ONG, MDM a en effet lancé cette semaine une opération humanitaire à Calais afin que les campements de migrants soient au moins aux normes de « n'importe quel camp de réfugiés dans le monde », selon l’humanitaire. Fuyant les guerres et la dictature, ces migrants, qui ont payé cher et risqué leur vie arriver en Europe depuis l’Érythrée, le Soudan, la Syrie ou l’Afghanistan, vivent dans des camps de fortune en attendant de tenter de passer vers l’Angleterre, pays réputé plus accueillant pour les sans-papiers.
Rached Cherif