« Mémoire d’un condamné », un docu sur le Dreyfus des ouvriers

 « Mémoire d’un condamné », un docu sur le Dreyfus des ouvriers

« Mémoire d’un condamné »


Il était ouvrier, l’un des premiers syndicalistes du port du Havre. Les patrons ont voulu briser la grève, c’est finalement la vie de cet homme qui le sera. Le documentaire de Sylvestre Meinzer, qui sort demain (1er novembre), retrace l’histoire de Jules Durand.

 


Il est des histoires qui ne font pas partie de l’Histoire, ou en tout cas pas à la hauteur de ce qu’elles devraient. Le cas de Jules Durand en est une illustration parfaite. Qui connaît aujourd’hui le nom de cet ouvrier charbonnier normand, condamné à mort puis gracié, qui consacra sa vie à la lutte contre les patrons ?


Au Havre et dans ses environs, ce nom trouve une certaine résonnance. Mais au-delà, rien. A part quelques syndicalistes qui passent régulièrement devant l’ancienne maison où Jules Durand vécut, pour se recueillir.


Le documentaire de Sylvestre Meinzer retrace l’histoire précieuse et méconnue de ce grand homme de la cause ouvrière, dont le seul tort aura été de tenter de structurer une profession qui n’embauchait jusque-là que des repris de justice et des personnes sans abri.


« Complicité morale d’assassinat »


« L’affaire Durand est un des cas les plus violents de la justice de classe que l’on puisse imaginer », disait Jean Jaurès. Jules Durand était un ouvrier charbonnier du port du Havre qui, à l’été 1910, devint le leader d’une grève menée par les dockers au sein de la Compagnie Générale Transatlantique. Outre une augmentation de salaire, le syndicat réclame une réduction du temps de travail pour compenser le préjudicede la mécanisation et préserver l’emploi.


En septembre, une bagarre éclate et se solde par la mort d’un ouvrier. Jules Durand et deux autres hommes sont aussitôt inculpés pour « complicité morale d’assassinat ». En novembre, il est condamné à la peine capitale.


Auteurs de la machination non poursuivis


Face à la mobilisation ouvrière et à l’émoi suscité jusque dans une partie de la classe politique, son procès sera révisé puis l’homme sera libéré. Mais trop tard, son état mental s’est fortement détérioré. Il sera ensuite interné en asile psychiatrique.


Ce n’est qu’en 1918 que la Cour de cassation reconnaît l’innocence de Jules Durand, au terme d’une nouvelle enquête qui établit les faux témoignages. Plusieurs cadres de la Compagnie Générale Transatlantique avouent avoir récompensé les témoins à charge.


Les auteurs de la machination ne seront pas poursuivis. La réalisatrice du documentaire souligne également le fait que tous les documents, médicaux et juridiques, qui concernaient Jules Durand, ont disparu. La justice aura même été au-delà de ce qu’espérait le patronat de l’époque…


Chloé Juhel


« Mémoire d’un condamné », un film de Sylvestre Meinzer