France/Maroc : Où Macron passe, la diplomatie trépasse

 France/Maroc : Où Macron passe, la diplomatie trépasse

crédit photo : Christophe Simon / Pool / Afp

« On ne change pas une équipe qui gagne ». Ce principe de base du management ne semble pas faire partie des premiers soucis d’Emmanuel Macron.

Alors que tous les regards sont braqués sur la cellule diplomatique de l’Élysée tant les couacs se suivent et ne se ressemblent pas, aucun changement ne se profile à l’horizon, ni blâmes, ni sermons, ni départs forcés aux sein de la gestion de l’Afrique du Nord de la présidence. On apprend ainsi que l’actuel conseiller du président français Emmanuel Macron, responsable de cette zone, Patrick Durel, en poste depuis 2020, devrait rester à son poste du moins jusqu’à l’été 2024 . Selon le média en ligne Africaintelligence, c’est lui qui a été notamment « chargé de relancer les préparatifs quant à la visite en France – sans cesse repoussée depuis le mois de mai – du chef de l’État algérien Abdelmadjid Tebboune ». Outre l’Algérie, Patrick Durel est également chargé de tenter de dégeler les relations avec Rabat, au plus mal depuis la fin de l’année 2022. Vaste programme !

Or le moins qu’on puisse dire, c’est que : soit le conseiller en question a échoué sur toute la ligne, tant avec l’Algérie, que sur les relations avec le Royaume, ou encore dans le dossier Libyen et enfin sur le plan des relations avec le lunatique président tunisien, soit que le président n’écoute personne et, dans ce cas, c’est encore plus grave qu’on ne le pense.

A la rigueur, on peut comprendre que Patrick Durel n’ayant pas d’atomes crochus avec le Maroc peine à rétablir des relations durablement détériorées mais que dire de l’Algérie ou l’homme a ses entrées ? Il est même très proche de nombreuses personnalités influentes du pouvoir à Alger comme l’ex ministre des Affaires Étrangères de ce pays, Ramtane Lamamra avec lequel il entretient une grande amitié depuis des décennies.

D’autant plus que dans sa fébrilité à briguer un 2ème mandat à la tête de l’Etat algérien, le clan Tebboune multiplie les sorties du président algérien, des sorties qui mettent très mal à l’aise l’Élysée malgré ses efforts constants de pacifier ses relations avec Alger, dont la fameuse invitation faite par Macron pour une visite officielle à Paris. Dans une interview accordée à la presse le 5 août, le chef de l’État algérien avait déclaré attendre « le programme de cette visite de la part de la présidence française », alors que Paris avait remis à la présidence algérienne, un programme détaillé de cette visite !

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Sarkozy taille un costard à Emmanuel Macron

Patrick Durel, le conseiller chargé de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à l’Élysée, l’homme qui murmure à l’oreille du président, sera certainement encore plus dépité à la lecture du dernier brûlot de Nicolas Sarkozy qui taille un costume sur mesure au président français.

À quelques jours de la parution de son nouveau livre, Le Temps des combats, Nicolas Sarkozy a évoqué sur les colonnes du Figaro, les nombreux couacs diplomatiques d’Emanuel Macron sans le charger directement, des relations franco-Marocaines, au coup d’État au Niger et à la situation en Libye en passant par la guerre en Ukraine. Avec une prudence qui se comprend, l’ex-chef d’état ( toujours empêtré dans ses déboires avec la justice française) n’en met pas moins en garde Emmanuel Macron contre la chute de la côte de la France au Maroc. Il s’inquiète surtout de l’aveuglement de Macron qui continue à croire que le fait de tourner le dos à Rabat va lui permettre d’amadouer Alger : « Ce tropisme nous éloigne du Maroc. Nous risquons de tout perdre. Nous ne gagnerons pas la confiance de l’Algérie, et nous perdons celle du Maroc », a jugé l’ex-président français qui parle « d’amitié artificielle entre Paris et Alger conseillant au passage à Emmanuel Macron de ne pas tenter de « bâtir une amitié artificielle » avec des dirigeants algériens « qui utilisent systématiquement la France comme bouc émissaire pour masquer leurs propres défaillances et leur déficit de légitimité . Ils ont trop besoin de détourner l’attention de l’échec dans lequel ils ont plongé leur pays en accusant régulièrement la France de tous les maux.»

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La France perd du terrain sur le terrain économique

On peut aussi se poser la question de savoir qui a soufflé à Macron l’idée « géniale » de soumettre le Maroc ( et accessoirement tout le Maghreb) à un chantage aux visas, censé le faire revenir à de meilleurs sentiments vis-à-vis de l’hexagone ? Logiquement, cette histoire ne peut pas avoir été pensée en dehors du cénacle des diplomates en chef de l’Élysée. On se rappelle qu’à l’automne 2021, la France avait décidé unilatéralement de réduire de manière drastique le nombre de visas accordés aux demandeurs marocains et ce, quelques soit la solidité de leur dossier. Si leur nombre a été divisé par deux, on sait, par ailleurs, que cet odieux chantage, atteinte flagrante à la liberté de circulation a fait l’objet de contacts confidentiels avec les autres chancelleries européennes pour serrer, elles aussi la vis aux voyageurs marocains, histoire de mettre vraiment la pression sur le voisin méditerranéen.

Depuis, la situation n’a pas beaucoup évolué malgré les paroles mielleuses de nombreux responsables français sur une possible régularisation de la situation.

Réponse du berger à la bergère, le Maroc n’a pas eu beaucoup de peine à rendre coup sur coup. En effet, depuis cette date, un vent mauvais souffle sur les entreprises françaises qui se rendent subitement compte qu’elles ne sont plus en terrain conquis et qui, pour les unes sont priées de s’acquitter de ce qu’elles doivent à l’Etat marocain. Le cas le plus emblématique est celui de Teodem, filiale du groupe français de gestion des déchets Pizzorno, en litige avec l’État marocain concernant le contrat de la décharge d’Oum Azza et qui a subi un redressement fiscal d’environ 4,2 millions d’euros en juillet 2022. D’autres sentant le vent tourner ont préféré jeter l’éponge. On se rappelle comment BNP Paribas, a bouclé en février la vente de BMCI Asset management à la CIH Bank alors que Axa assurances Maroc était trop contente de trouver une oreille attentive chez Mehdi Tazi pour reprendre 80 % des parts d’Axa assistance Maroc.

La bérézina a touché même des opérateurs qui ont pourtant réussi depuis longtemps à s’infiltrer dans les plus hautes sphères de l’état pour bénéficier du parapluie en béton censé leur ouvrir la porte à des affaires juteuses, perdent pied petit à petit. Ainsi, Veolia qui peine à régulariser sa situation depuis sa fusion avec Suez, il y a tout juste un an, est aujourd’hui embarrassée par sa situation de quasi-monopole concernant la distribution de l’eau dans les trois plus grandes villes du pays (Casablanca, Rabat-Salé et Tanger), à travers ses filiales Lydec, Redal et Amendis.

Et on en apprend de belles sur le site Africaintelligence qui rappelle que « le groupe, qui a un temps cherché à vendre sa filiale, a désormais le plus grand mal à s’en séparer. Le projet de cession au « nouveau Suez », détenu à 40 % par le fonds Meridiam dirigé par Thierry Déau, particulièrement proche du président français Emmanuel Macron, suscite la sourde opposition du ministre de l’intérieur marocain Abdelouafi Laftit » .

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Des journalistes sélectionnés par l’Elysée

Cerise sur le gâteau. Non seulement le président français est un habitué des couacs diplomatiques mais sa communication laisse à désirer comme en témoigne sa volonté de verrouiller l’accès aux voyages officiels dans les pays « chauds » en mettant une série de bâtons dans les roues des rédactions désormais rompues à ces pratiques d’un autre âge comme ce fut le cas il y a quelques années de cela à la veille de son voyage au Mali où une quinzaine de rédactions lui avait envoyé une lettre ouverte particulièrement virulente. « Aucun de vos prédécesseurs ne s’est prêté à ce genre de système, au nom du respect de la liberté de la presse. Alors que la défiance pèse de plus en plus sur l’information, choisir celui ou celle qui rendra compte de vos déplacements ajoute à la confusion entre communication et journalisme, et nuit à la démocratie » s’étaient ainsi insurgés les journalistes.