France/Maroc. A l’ère de la trash politique
C’est une scène qui m’avait profondément marqué. Ce jeudi 29 septembre 2011, à Tanger, embedded (comme disent nos confrères américains) avec des journalistes exclusivement français, on roulait à vive allure vers le palais royal de Marshan, invité à assister à la conférence de presse du président Nicolas Sarkozy qui venait juste d’inaugurer le lancement des travaux du futur TGV qui reliera Tanger à Casablanca.
Passons sur le comportement de cette faune médiatique triée sur le volet et qui refusait de se plier aux mesures sécuritaires d’usage arguant du fait que « Nicolas Sarkozy nous attendait ! ».
Mais le clou du spectacle fut sans aucun doute le discours du président français qui n’a pas eu un traitre mot pour le pays hôte ne manquant pas l’occasion plutôt, d’insister sur les retombées positives « nationales » de ce contrat.
« Le groupe Alstom a vendu 14 de ses rames TGV au Maroc pour 400 millions d’euros. Les Français doivent savoir que ce TGV marocain, c’est de l’emploi pour les Français, ce sont des milliers d’heures de travail pour les ouvriers français », va-t-il marteler devant la presse. La messe est dite.
Digne héritier de Sarkozy, Emmanuel Macron voulait refaire en 2020, un remake de la même scène, mais cette fois-ci pour vanter le savoir-faire français qui devrait faire surgir des montagnes de l’Atlas la future ligne à grande vitesse (LGV) Kenitra-Marrakech-Agadir.
Obligé de reporter sine die sa visite au Maroc, Emmanuel Macron et ses conseillers occultes ont-ils finalement perdu espoir de mettre la main sur ce juteux contrat avec l’entrée en lice des deux mastodontes publics du BTP China Railway Construction Corp (CRCC) et China Communications Construction Co (CCCC), qui se positionnent sur une importante partie du projet, concernant notamment la réalisation des ouvrages d’art, viaducs et souterrains sur le tracé qui traversera l’Anti-Atlas, la chaîne de montagnes au sud-ouest du Maroc ?
Auquel cas, on comprendrait mieux la rage et cette charge inouïe et inédite sur le royaume montée en épingle avec cette histoire de Pegasus, système performant utilisé par le Maroc (entre autres pays) pour espionner des journalistes, des députés et même des présidents ! Pour l’anecdote, Pegasus (Pégase) est l’une des créatures fantastiques les plus célèbres de la mythologie grecque. Ce cheval ailé divin, chevauché par Poséidon, a permis à ce héros grec de vaincre la Chimère, avant de réaliser beaucoup d’autres exploits. Car dans cette histoire, des chimères, il y en a beaucoup.
Il n’y pas que la LGV du sud qui fait enrager beaucoup de monde en France d’une manière particulière et en Europe de manière générale ; il y a la reprise en main définitive du Sahara par le Maroc. Un désert qui regorge de métaux rares, un port de Dakhla en construction (au passage, on notera que les gros requins du BTP français ont été sommés de rester à l’écart du projet).
Or ce qui n’a pas échappé aux spécialistes de la géopolitique, c’est que ce port et l’autoroute transsaharienne qui est dans les cartons vont faire du Maroc un passage obligé pour quiconque veut faire des affaires en Afrique, le futur eldorado économique du monde.
Il ne faut pas se tromper, les attaques frontales et répétées sur le Maroc semblent obéir à une vaste opération de désinformation, en concertation avec plusieurs services européens et financée en grande partie par des pétrodollars algériens.
De toute évidence, ces opérations psychologiques définies comme des activités psychologiques planifiées et menées dans le but d’influencer les impressions, les attitudes et les comportements sont menées dans l’espoir d’avoir une incidence sur la réalisation d’objectifs politiques et économiques bien définis.
Mais pourquoi donc le « sécuritaire bashing » qui accompagne cette campagne de lobbying musclé ? Pour deux raisons essentielles : la première, c’est que contrairement à son père, Mohammed VI a complètement verrouillé l’accès à son entourage immédiat.
« A l’époque de Hassan II, on savait qu’on pouvait compter sur le premier cercle ou du moins le second pour avoir de l’info sur ce qui se passe à l’intérieur du palais. Avec le roi actuel, on n’a rien à se mettre sous les dents », avoue un journaliste faisant partie des anciens habitués de Rabat.
Résultat, rien ne filtre sur les décisions stratégiques du royaume, et tout ce qui se dit au dehors relève de l’imagination pure et simple ; d’où cette profusion de fake news qui circulent sur le personnage no 1 du pays ou sur ses hommes.
La seconde, c’est que pour la première fois de l’histoire des services secrets, le flux s’est inversé. Ce sont les services de renseignement occidentaux qui sont « renseignés » par leurs homologues marocains et non plus le contraire. Et pas uniquement sur les questions de terrorisme.
Si on ne fait pas un peu d’histoire, on ne peut pas comprendre la haine que voue une grande partie des légionnaires de l’espionnage français au royaume. Il faut rappeler que cette inimitié vient de loin. Elle date des années 70, quand plusieurs dizaines de pieds-noirs fraîchement rapatriés d’Algérie vont intégrer la Direction de la surveillance du territoire (DST) et à leur tête Raymond Nart, un cadre du contre-espionnage français qui a travaillé notamment en Algérie, aux côtés du fameux capitaine Paul-Alain Léger – qui fut, l’un des principaux organisateurs, pendant la deuxième guerre d’Algérie, des opérations d’intoxication et d’infiltration des maquis indépendantistes.
Nart, qui a fait toute sa carrière à la Direction de la surveillance du territoire (DST), dont il a été le directeur adjoint de novembre 1988 à février 1998, a pris soin de placer ces pieds-noirs aux meilleurs postes du contre-espionnage français. Un travail qui va être encore plus déterminant avec la nomination de Yves Bonnet, à la tête de la DST en 1982 par François Mitterrand . L’homme n’hésitait d’ailleurs pas à s’afficher avec les gradés du DRS algérien dans les bars du Crillon à Paris.
De l’affaire Hammouchi, où des cerbères débarquent à la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Paris pour interpeler le directeur de la police marocain, à l’affaire Pegasus, le récit historique revu et corrigé par la DGSE correspond à une guerre d’usure qui ne dit pas son nom, certes, mais il est à chercher aussi dans une vision du Maghreb surannée, avec des relents de Françafrique certains.
La dialectique, l’asynchronicité, le souci de cibler le maximum de personnes n’ont qu’une signature, celle des spécialistes de trolls, armés de comptes twitter bien garnis.
Au final, cet attentat numérique, censé faire trembler les fondations du palais de Rabat, aura tout juste réussi à faire apparaître les stratèges qui tirent les ficelles au Quai d’Orsay, comme les nouveaux pieds nickelés de la politique. Et s’indigner de cet aveuglement concernant le royaume peut vite devenir un travail à temps plein.
Sauf que le Maroc n’est pas une quelconque république bananière censée trembler à la diffusion de fake news, de vidéos truquées, de faux comptes facebook, bref, censée vaciller aux moindres tentatives de manipulation et de déstabilisation aussi grossières soient-elles.
En tout cas, une digue a été rompue, et cette affaire, en vérité, en dit long d’abord sur les vrais tenants du pouvoir en France.
Malgré le maigre capital de sympathie dont bénéficie la classe politique dans ce pays auprès de la population, ce sont les barbouzes qui tiennent vraiment le pouvoir. Ni les responsables politiques ni même les journalistes n’ont les clés de ce nouveau monde que veulent dessiner les barbouzes. La preuve, il ne s’est trouvé personne au sein de la classe politique française pour s’indigner de la grossièreté de la manœuvre, d’autant plus que la plupart n’a jamais hésité à venir goûter les délices de la pastilla marocaine, à l’ombre des palmiers de la Palmeraie de Marrakech.
Qu’est-ce qu’on fait alors ? Rien. Ou plutôt si, on continue, on continue à marquer notre territoire, puisque le refus de capituler est désormais dans l’ADN du royaume, c’est à l’Europe de saisir la dernière occasion qui se présente à elle avant cette déclassification qui s’opère déjà.
Le royaume regarde déjà ailleurs, vers le pays du levant, du côté de l’Amérique, sans oublier l’empathie des Russes. Et pour ce qui est de l’Afrique, c’est déjà dans la poche. Reste peut-être à rendre coup sur coup, pourquoi ne pas imposer un visa aux Européens ? Une simple mesure de bon sens qui rentre dans la logique de la réciprocité et après on reverra tous les contrats passés avec les entreprises françaises, espagnoles ou italiennes qui se sucrent sur le dos du citoyen marocain.
Les stratèges qui tirent les ficelles dans les coulisses de la sale politique à Paris ou Madrid ou encore Berlin, devraient se méfier de « l’effet papillon », conséquent à ces petits calculs étriqués et immortalisé par ce fameux film au titre prémonitoire « Babel » (2006), où deux enfants qui jouent avec un fusil au Maroc (tiens, tiens) finissent par déclencher une suite d’événements imprévisibles à travers la planète.
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