« Maintenant, on écoute mon histoire », Mourad Benchellali, ex-prisonnier à Guantanamo
Mourad Benchellali a aujourd’hui 33 ans. Il est le papa d’un petit garçon de 8 ans. C’est sans doute lui qui le fait tenir. Sa vie a basculé à l’âge de 19 ans. Deux mois, avant le 11 septembre 2001, il part en Afghanistan. Emprisonné à Guantanamo, puis à Fleury Mérogis à son retour en France, il tente depuis dix ans de faire entendre sa version des faits. En vain. Depuis l'augmentation des candidats au "Djihad", la donne a changé…
LCDL : On vous prend enfin au sérieux…
Mourad Benchellali : C’est vrai. Depuis le départ de jeunes Français en Syrie, on m’invite un peu partout. Et encore plus depuis les attentats de Charlie. On me donne enfin la parole. Il y a trois semaines, j’ai même été invité pour la première fois dans un collège français. En même temps, c’était à Lunel. Vous savez, cette ville qui a vu partir énormément de jeunes en Syrie.
Pourtant, cela fait dix ans que je raconte mon histoire et personne ne voulait m’entendre. Mais c’est un problème purement français. En Suisse et en Belgique, il n’y a aucun souci. Là-bas, je suis invité régulièrement. Dans ces pays, je suis perçu comme quelqu’un qui a été victime de l’arbitraire. En France, on m’a toujours considéré comme un suspect, voire un terroriste. Tout ça parce que j’ai été emprisonné à Guantanamo…
Vous êtes parti en Afghanistan deux mois avant le 11 septembre…
Oui, j’avais 19 ans quand j’ai rejoint l’Afghanistan. Je vais vous dire : je ne serais sans doute pas parti là-bas si le 11 septembre avait eu lieu en mai. Je suis parti au pire moment dans le pire des endroits. A l’époque, les gens ne savaient pas beaucoup de choses sur l’Afghanistan. On n’en parlait pas comme aujourd’hui. Des gens partaient et revenaient en France sans être inquiétés, sans être interrogés par les Renseignements généraux. Je suis parti là-bas parce que mon grand frère, de dix ans mon ainé, y était. Il m’a proposé de le rejoindre en me disant le plus grand bien de ce pays et qu’il s’occuperait de tout, une fois sur place.
Moi, j’étais un gamin à l’époque. Mon frère était parti pour la religion. Moi, ce n’était pas ma motivation. Je n'étais jamais sorti de mon quartier des Minguettes (NDLR, à Vénissieux, banlieue de Lyon) et je voulais voyager. Pour vivre une aventure et pour la raconter par la suite aux copains. Pas pour aller me battre… Je me voyais déjà passer par le Pakistan. Tous ces pays me faisaient rêver. Je n’étais qu’un môme, naïf, un peu ignorant… Tellement naïf que je ne me suis douté de rien quand mon frère m'a demandé de taire ma destination finale… J’ai fini par mentir à mes parents et leur dire que je partais en Syrie, un pays qui n’était pas dangereux à l’époque.
Vous arrivez donc à Islamabad, fin juin 2001…
Oui, je suis accompagné d’un grand du quartier que mon frère a réussi à convaincre également. A mon arrivée, j’ai été réceptionné par un groupe de personnes qui trouvait que c’était bien qu’on soit venu. Ils nous ont informé qu’il y avait d’autres jeunes occidentaux, comme nous qui étaient déjà là. Quelques jours plus tard, nous avons pris la route pour la frontière afghane. Après une halte à Kaboul, on nous a emmenés en plein désert. Je ne le sais pas encore mais nous venions d’arriver au camp d’entraînement d’Al-Qaida de Kandahar. J’ai voulu partir mais on me l’a interdit. J’ai dû rester deux mois sur place. Le temps de finir mon entraînement. C’est dans ce camp que j’ai rencontré Ben Laden : il était venu pour faire l’éloge des attentats suicides…
En 2001, vous quittez enfin l’Afghanistan…
J’avais mon billet d’avion et mon passeport avec moi et je voulais rentrer en France. Après les attentats du 11 septembre, les Américains ont attaqué l’Afghanistan. La frontière pakistanaise était fermée. Donc, nous n’avions pas d’autre choix que de passer par la montagne. J’étais avec des Afghans qui fuyaient, eux aussi, la guerre. En décembre 2001, on a été arrêté par l’armée pakistanaise. J’ai réussi à m’évader mais j’ai été repris. C’est là que j’ai été remis aux Américains, qui m’ont transféré quelques semaines plus tard à Guantanamo.
Où vous êtes restés plus de deux ans…
Pour les Américains, j’étais un terroriste. Et j’ai donc été traité comme un terroriste. J’y ai vécu l’Enfer…
Revenu en France, votre enfer ne s’arrête pas…
J’ai quitté un cauchemar pour en retrouver un autre. A Paris, j’ai été mis en examen. On me demandait sans cesse pourquoi j’étais parti dans un camp d’entrainement. On ne voulait pas croire à mon histoire. J’ai été incarcéré à Fleury-Mérogis. Mais le pire était à venir. J’ai appris alors que le reste de ma famille, mes parents et mon frère, avaient été arrêtés pour association de malfaiteurs. Mon père était imam, donc il était un suspect idéal. On reprochait à ma mère d’avoir envoyé un mandat à mon frère. De mon cachot, je pouvais voir sa cellule. Ma mère était emprisonnée dans le quartier des femmes. Pendant ma détention, j’ai fait une grève de la faim d’un mois pour pouvoir la voir mais le juge a refusé. A leur sortie de prison, mon père et ma mère ont été expulsés de France. Ils sont interdits de territoire et vivent aujourd’hui en Algérie. Je suis inquiet pour ma mère : elle souffre de problèmes cardiaques.
Malgré cela, vous vous rendez disponible pour aller raconter votre histoire….
Oui. C’est important. Mais je tiens à préciser que ma démarche n’est pas celle qu’on croit. Je lis souvent dans la presse des choses qui sont fausses à mon sujet. On me décrit comme un ancien « djihadiste » qui serait passé de l’autre côté. Je n’ai jamais été djihadiste. Je n’aime pas non plus qu’on me présente comme un « anti-djihadiste ». J’ai envie d’en découdre avec personne. Si des gens veulent partir se battre, à la limite, c’est leur liberté. Je ne veux pas me poser en donneur de leçon. Je veux juste raconter aux jeunes ce qui les attend une fois sur place. S’ils vont là-bas, ils sont susceptibles de se voir proposer de porter une ceinture d’explosifs. Beaucoup partent en pensant que c’est pour la bonne cause. Quand je leur raconte mon histoire, généralement, ils n’ont plus envie de partir….
Justement, que faire de plus pour empêcher tous ces jeunes de partir ?
Déjà, il y a plusieurs raisons à leur départ. Il n’y a pas « que des cerveaux malades ». Ceux qui s’en vont, n’ont souvent rien à perdre. Certains le font parce qu’ils sont paumés, et qu’ils sont persuadés qu’ils vont trouver une famille. Il y a un besoin d’exister chez eux…D’autres sont convaincus que c’est la religion qui les oblige à partir. Certains n’en peuvent plus de voir tous ces morts syriens et veulent les aider. Je pourrais toujours dire aux jeunes de ne pas partir en Syrie mais si on n’apporte pas de solides réponses à leur désarroi, cela ne sert pas à grand-chose. Il faut leur offrir une alternative louable. Aujourd’hui, seule la réponse pénale, répressive est mise en place.
La suite pour Mourad Benchellali ?
Sur le plan judiciaire, nous avons déposé plainte à Paris en 2005 contre le gouvernement américain. Deux juges d’instruction français sont saisis de l’affaire. En avril dernier, avec Maitre Bourdon, mon avocat, nous avons réussi à obtenir la convocation du Général Miller, celui qui dirigeait Guantanamo. J’essaie aussi de faire revenir mes parents en France. Je veux surtout que mon fils soit fier de son père…
Propos recueillis par Nadir Dendoune