Lyes Louffok : Porte-parole de l’enfance qui souffre

 Lyes Louffok : Porte-parole de l’enfance qui souffre

Lyes Louffok


 


Sorti en 2014, le livre de Lyes Louffok, dont le titre « Dans l’enfer des Foyers » a mis au grand jour les graves difficultés rencontrées par les enfants placés. Succès commercial et médiatique, il sort ce mercredi 10 février en Poche. L’occasion de revoir Lyes, rencontré à l’époque, et de faire le point sur ce qui a changé depuis. 


 


LCDL : Votre livre sorti en 2014 a fait un carton. A-t-il permis de servir votre cause ?


Lyes Louffok: Le livre sorti en 2014 a en effet eu un succès inattendu, tant directement auprès de l’opinion publique qui, jusqu’à présent, ne connaissait pas nos problématiques d’enfants placés, qu’avec les premiers concernés, les enfants, les adultes ayant vécu un placement et, bien sûr, les professionnels. Je pense que le livre a permis de libérer une parole bien souvent absente de la sphère publique, mais surtout de faire prendre conscience aux gens que les enfants placés sont un problème qui les concerne aussi. 


Je rappelle qu’en France une personne sur quatre sans domicile fixe, sort tout droit de l’Aide Sociale à l’Enfance, ou encore que deux enfants par jour meurent sous les coups de leurs parents ! Et plus récemment, cinq  des djihadistes qui ont commis des attentats sont d’anciens enfants placés (dans des foyers ou des familles d’accueil).


Bien loin du cliché que les jeunes se radicalisent en banlieue, ceux-là ont été pris en charge par l’État. L’État a payé pour qu’ils deviennent finalement ces « monstres ». On voit clairement que l’État a échoué dans sa mission de protection ! 


Le livre a aussi sensibilisé nos politiques. J’ai eu la chance de  pouvoir porter ma voix auprès de différents ministères, comme celui de l’Éducation nationale, de la Justice et de la Famille.


J’ai bossé durant une année, à sa demande, avec Laurence Rossignol, Secrétaire d’Etat à la famille et depuis à l’Enfance. Nous avons mené une concertation nationale sur la protection de l’Enfance et, grâce à la matière récupérée, nous avons fait un projet de loi.


Le combat est encore long car, malgré l’investissement, ce projet de loi n’a malheureusement pas abouti dans son intégralité. Plusieurs articles importants – tels que la facilitation des procédures de délaissement parental pour laisser adopter de nombreux enfants placés qui ne retourneront pas chez leurs parents – n’ont hélas pas étaient gardés.


Les liens du sang priment toujours sur nos intérêts. Vaut-il mieux laisser un enfant recevoir l’amour d’une mère adoptive, capable d’être mère, ou laisser un enfant en foyer ou en famille d’accueil parce que sa mère, incapable de l’être, a toujours autorité sur lui alors qu’elle ne s’en s’occupe pas ??? 


 


LCDL : Avez-vous été entendu par les pouvoirs publics ?


Je crois avoir été écouté. Parfois, de haut, comme par Christiane Taubira. Parfois, avec considération et empathie, comme par Najat Vallaud-Belkacem. On m’a intégré dans des concertations et des réunions sur le sujet, au secrétariat d’État à la famille, ou à la mairie de Paris. 



En revanche, je ne crois pas avoir été encore bien entendu. Trop des points importants pour faire progresser la Protection de l’enfance sont encore mal traités. Et notamment, sur le sujet des mineurs isolés étrangers, j’ai le sentiment que tous les politiques sont sourds. C’est un problème, cette surdité…


 


LCDL : On vous avait rencontré lors de la sortie de votre livre. On vous sent beaucoup plus serein aujourd'hui…


J’ai, ces deux dernières années, compris que mon histoire dépassait largement mon cas, mais qu’elle concernait 300 000 enfants (cette année) et plein d’adultes qui s’y reconnaissaient. Je me suis senti moins seul.


J’ai fait aussi de belles rencontres : Sophie Blandinièresqui m’a aidé à écrire le livre, et qui m’épaule depuis des années maintenant dans mon combat pour servir cette cause, me fait bénéficier de ses analyses et son expérience, partage mes hauts et mes bas, mes victoires et mes défaites. Une alliée importante pour les enfants.


Et puis les journalistes aussi, comme Marie Vaton de l’Obs, Alexandra Riguet, ou Catherine Durand de Marie-Claire, qui s’intéressent aux enfants placés et ont le courage de mener des enquêtes et traiter le sujet quand certains de leurs collègues préfèrent ne pas en parler. 



Si je suis serein aussi, c’est parce que je garde espoir que tous ces efforts paieront un jour, que les choses évolueront dans le bon sens. 


 


LCDL : Votre livre contient un chapitre supplémentaire. Pourquoi vous a-t-il semblé important de l'inclure ?


Il me paraissait urgent de rétablir une vérité sur le phénomène du djihadisme et préciser ce que personne ne veut entendre, considérant que c’est disculper les terroristes. Dans une lettre ouverte au président, il y a quelques semaines,je l’ai alerté sur le fait qu’il fallait aider la Protection de l’enfance pour éviter de fabriquer d’autres djihadistes sur notre sol, aux frais de l’État !  



Bien souvent, les enfants placés finissent par rendre à la société ce qu’elle ne leur a pas donné. Il ne s’agit pas de les excuser, ni de nous rendre collectivement responsables. Il s’agit d’agir là où nous avons prise, où nous pouvons le faire. Il me semble que ce sera plus efficace, plus profond que de bombarder la Syrie ou de constitutionnaliser l’Etat d’urgence…


 


Propos recueillis par Nadir Dendoune