Lutte antiterroriste : Ne renonçons pas à nos valeurs

 Lutte antiterroriste : Ne renonçons pas à nos valeurs

De gauche à droite : Cheima Ben Hamida


En marge des attentats de Bruxelles, le Courrier de l’Atlas a rencontré diverses personnalités concernées par cette actualité tragique, que ce soit à titre de chercheurs et journalistes spécialisés, ou d’officiels des services de l’Etat Français. S’il y a un dénominateur commun qui anime la plupart d’entre eux, c’est la conviction quasi unanime que la lutte contre le terrorisme serait perdue d’avance si l’on venait à renoncer aux idéaux universels et républicains.




 


En accueillant la délégation de quatre journalistes tunisiens, le sous-directeur de la presse à la direction de la Communication du Quai d’Orsay, Gaël Veyssière, tient à clarifier d’emblée : « nous n’attendons rien de vous ». Une façon de signifier que s’il est évident que les autorités françaises font aussi leur « com’ », elles n’attendent pas de couverture complaisante en retour.


Et en matière de choix du ministère de ses des interlocuteurs spécialisés dans la question djihadiste, nous avons été surpris par l’originalité voire l’audace du programme qui compte notamment comme intervenants Romain Caillet jadis expulsé du Liban, ou encore le reporter de guerre en ancien otage Nicolas Hénin, qui n’a pourtant pas de mots assez durs pour la récente plateforme gouvernementale « Stop djihadisme ». Autant dire que nous sommes face à une catégorie de personnalités que tout sépare du consensualisme de l’imam de Drancy et consorts.


Idem pour l’ancienne juge anti-terroriste Béatrice Brugère, qui par ailleurs est la responsable syndicale FO de la section parisienne des magistrats que nous rencontrons autour d’un déjeuner informel. « Tout comme l’ostracisme a pu servir le FN, c’est un réflexe qui sert les personnes radicalisées… Et puis il faut admettre que notre modèle sociétal occidental peut ne pas plaire à tous et être contesté », explique sans langue de bois la jeune juge.


« Lorsque j’ai condamné des djihadistes français en 2010, c’était pour de petites peines, nous n’avions pas à l’époque pris la mesure du phénomène » ajoute-t-elle. Pour autant, le magistrat est plutôt opposé à la distinction entre la radicalisation violente et d’autres formes de délinquance et de banditisme.  


 


« Ne vous battez pas avec les mêmes armes que le terrorisme »


Auteur du livre « Jihadisme Academy », Nicolas Hénin a insisté sur la responsabilité morale des journalistes qui ont selon lui le devoir de ne pas céder à l’appel du sensationnalisme : « Ce ne sont pas les explosions et les morts en soi qui sont l’évènement majeur, mais les changements sociétaux qui ont résultent, dit-il en citant un édito du Guardian du 24 mars titré « Le plus terrifiant à propos de Bruxelles, c’est notre réaction ».        


Pour sa part Romain Caillet s’est étonné du récent soutien inconditionnel de la gauche tunisienne et du quartette nobélisé pour le Hezbollah : « En réalité c’est donc la cible de la violence et non pas la violence elle-même qui choque les élites tunisiennes ».


Le 23 mars, c’est l’ancien député et ministre de la Justice Jacques Toubon que nous rencontrons, aujourd’hui Défenseur des Droits, une institution méconnue mais qui a tendance à s’exporter, y compris en Tunisie. Interrogé sur le nombre de recours déposés auprès de son institution par des personnes poursuivies pour radicalisation et n’ayant pas accès à leurs droits, l’homme reconnait qu’il n’y en a eu « aucun pour l’instant », la plupart des recours concernant des cas de sexisme et d’homophobie en milieu professionnel.


Le préfet Pierre N’Ghane, directeur du Comité interministériel de prévention de la délinquance, est lui aussi une personnalité relativement atypique. Ces derniers mois, ses services ont évolué et ont dû intégrer la nouvelle menace en ajoutant le terme « radicalisation » à l’intitulé de leur mission, tout en rechignant à l’usage du néologisme « dé-radicalisation », un terme controversé pour l’aspect inhumain de déprogrammation qu’il évoque.


Pour illustrer son propos, N’Ghane dessine une pyramide subdivisée en trois volets graduels : radicalisation, extrémisme, et terrorisme, cette dernière étape étant celle du passage à l’acte. « Jusqu’ici, l’Etat est allé taper essentiellement dans les deux dernières cases », explique-t-il, là où le difficile défi du préfet consiste à agir désormais dès la case radicalisation.


Un challenge délicat, conçu autour d’un système de SOS téléphoniques qui transfert les signalements jugés crédibles à la DGSI, tout en tâchant de ne pas promouvoir la délation. « Un tiers des milliers de signalements que nous avons reçu sont faux ou diffamatoires, un autre tiers ne requérait pas d’intervention, et enfin un tiers a été transmis à la DGSI », reconnait-il.


Vendredi 25 mars, dans le bâtiment parisien abritant ce que d’aucuns appellent le nouveau « Pentagone français », nous rencontrons le colonel Gilles Jaron, porte-parole du chef d’état-major des Armées pour la présentation de l’opération Sentinelle. Principale information, l’actuel plan Vigipirate, par définition exceptionnel, se transformera bientôt en « Plan Permanent de Protection », à l’issue de discussions encore en cours sur les détails du dispositif.


Pour se faire, il déploiera 10 000 hommes au lieu de 7000 actuellement déployés sur le territoire national français, essentiellement dans les grandes villes. Une visibilité banalisée et surtout permanente des militaires en milieu urbain qui ne manquera sans doute pas de déclencher un débat de société. En cause, une éventuelle incompatibilité avec les fondements de la République, au moment où de façon certes anecdotique la participation de l’ancien général Christian Piquemal à une manifestation anti migrants continue de faire polémique.   


Avant de se radicaliser, jeunes et moins jeunes entrent en contact avec un certain nombre d’idées philosophiques, littéraires ou encore religieuses. C’est là que les régimes autoritaires tentent généralement de sévir en promouvant le délit d’appartenance qui autorise l’éradication méthodique de larges mouvements politiques. Confrontée à une menace qui s’installe dans la durée, la France, patrie des droits de l’Homme, devra trouver l’équation par laquelle elle s’attellera à cette lutte tout en ne reniant pas son ADN universaliste. Vaste chantier.


 


Seif Soudani