Les ratés de l’opération française en Syrie
Le ministère de la Défense a refusé ce weekend de commenter des fuites faisant état d’une série d’imprévus techniques rencontrés par les armées françaises lors des récentes frappes occidentales contre le régime syrien. Seule une frégate sur les trois engagées a notamment été opérationnelle. Une situation embarrassante pour la ministre des Armées Florence Parly. Décryptage.
« Je n'ai pas l'intention de commenter les performances de tel ou tel système d'armes, ces informations, qu'elles soient vraies ou fausses, sont classifiées, je ne les commenterai pas », a en effet réagi cette dernière, laconique, avant d’ajouter : « Nos objectifs ont été atteints et nous n'avons rien à ajouter concernant la performance des systèmes d'armes ».
Rappelons que la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne avaient mené le 14 avril des frappes sur des sites de production et de stockage d'armes chimiques en Syrie, en représailles à une attaque chimique survenue le 7 avril à Douma, qui avait fait une cinquantaine de morts selon des ONG locales.
Paris avait annoncé avoir tiré douze missiles de croisière (9 depuis des Rafale, 3 depuis une frégate) sur la centaine ayant visé la Syrie dans le cadre de ces frappes. En théorie…
D'après le blog Le Mamouth, tenu par le journaliste Jean-Marc Tanguy et réputé détenir des informations crédibles en provenance de l’état-major français, source de nombreux médias, un Rafale n'a en outre pas réussi à tirer l'un des dix missiles Scalp devant être lancés depuis les airs par les avions français.
Auteur également du blog @Défense137 sur Twitter, J.M Tanguy est auteur de cinq livres ayant trait aux thématiques militaires
Un missile Scalp largué en mer et deux frégates paralysées
« Qu'est devenu le 10ème Scalp parti de France vendredi soir ? S’interroge le journaliste. Les cinq Rafale de l'armée de l'air étant revenus de Syrie sans ce 10ème, et neuf étant arrivés sur leur objectif, il en restait bien un dans la nature. Dans les "what ifs" envisagés depuis des mois devait figurer, précisément, le cas de figure d'un missile non décroché, ou non configuré pour arriver sur sa cible. C'est vraisemblablement ce deuxième cas qui est intervenu, et dans un pareil cas, la procédure prévoit un largage manuel dans des zones prédéfinies hors d'atteinte de l'adversaire ». Il semble aujourd’hui que ledit missile ait été lâché en mer, un missile Scalp type « EG » à 850 mille euros l’unité.
Parallèlement à cela, la Marine française avait prévu de tirer un nombre supérieur de missiles de croisière navals dont trois ont finalement été lancés depuis une des trois frégates multi-missions (FREMM) déployées en Méditerranée orientale pour cette opération.
C'est la première fois que la France employait ce type de missile, d'une portée de 1.000 km, rejoignant ainsi le club fermé des pays disposant, comme les États-Unis et la Russie, de missiles de croisière embarqués sur des bâtiments de surface, en l’occurrence baptisés sans grande inspiration « MdCN » par le géant de l’armement européen le constructeur MBDA, d’un coût avoisinant les 3 millions d’euros l’unité.
« Pour la première fois, sans moyens amphibies, sans forces spéciales, sans porte-avions, via les frégates, notre pays dispose d'un missile qui peut toucher des installations en profondeur sur les territoires adverses », avait déclaré le chef d'état-major de la Marine, l'amiral Christophe Prazuck, soulignant qu’« à l'intérieur de l'Union européenne, la France est la seule à disposer de cette capacité ».
« Les objectifs ont été touchés. C'est une première démonstration opérationnelle de l'efficacité du système. Néanmoins on a toujours une expérience à retirer de l'ensemble du processus, c'est ce qu'on va faire dans les semaines qui viennent », tempère-t-il.
Selon les fuites obtenues par Tanguy, la "lettre A" explique que pas plus la frégate prévue à l'origine (Aquitaine) que sa doublure (Auvergne) n'ont pu tirer… Seule la Languedoc a tiré sa salve de trois.
Etablir les responsabilités
C’est que cette situation de combat, appelée la reine des épreuves, est inédite pour les armées françaises, contrairement aux compétences bien rodées des américains dans cette région. Matériel « rouillé » ? Bug informatique ? Brouillage électronique par les forces russes connues pour ces capacités de cyber nuisance, et ce malgré le dispositif dit de déconfliction qui supposait un minimum de coordination entre russes et français ? Les spéculations fusent sur le web, en sus des railleries.
Mais le plus grave selon les experts, ce qui ajoute une crise à la crise, ce sont les fuites de ces informations témoignant d’un certain amateurisme et qui devront sans doute faire l’objet d’une enquête administrative en interne.
Est-ce un revers politique pour le président Emmanuel Macron ? Le charismatique général François Lecointre, nouveau chef d'état-major des armées, avait été nommé à 55 ans chef d'état-major des armées en juillet 2017, en remplacement général Pierre de Villiers (61 ans) qui avait alors annoncé sa démission suite à des divergences de point de vue publiquement affichées entre lui et Macron à propos de certaines coupes budgétaires à la Défense. Quant à Florence Parly, elle est dans l’histoire de la France la deuxième femme nommée ministre de la Défense, après Michèle Alliot-Marie.
Seif Soudani
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