Le sort de la réforme constitutionnelle est entre les mains des sénateurs
Les sénateurs examinent mercredi et jeudi le projet de révision constitutionnelle voulue par François Hollande après les attentats de novembre, qu'ils comptent modifier en réservant la déchéance de nationalité aux seuls binationaux, une position inconciliable avec celle des députés et qui pourrait entraîner l'échec du projet.
La charge de Valls contre les éventuels amendements
« À l’Assemblée nationale, nous avons cherché et construit un accord. Au Sénat, vous ne l’avez pas cherché (…) Et je m’en étonne » a fustigé le premier ministre Manuel Valls, estimant que la version du texte modifié par les sénateurs ne sera « jamais adoptée par une majorité de députés ». « L’amendement adopté par votre Commission des Lois prend le contre-pied du consensus », a ajouté le chef du gouvernement dans son discours défendant la révision constitutionnelle actuellement examiné par la haute chambre.
« Le Sénat ne veut pas bloquer » le projet de révision constitutionnelle, a pourtant assuré dimanche son président Gérard Larcher (Les Républicains, LR), qui juge un Congrès possible si « un texte de synthèse » est trouvé avec l'Assemblée. Mais, les positions entre les deux chambres sont très éloignées : après six semaines de déchirements parmi les socialistes, les députés ont choisi le 10 février d'ouvrir en théorie la déchéance à tous les Français pour ne pas créer de discrimination.
Les sénateurs, qui se prononceront le 22 mars, pourraient suivre leur commission des lois en décidant que la déchéance ne peut concerner qu'une personne « disposant d'une autre nationalité que la nationalité française », empêchant ainsi la création d'apatrides. « Pas d'apatridie (…) C'est une ligne rouge qui nous semble évidente et qui devrait rassembler la gauche, le centre et la droite », souligne M. Larcher.
Retour de la référence à la binationalité
La formule sur la déchéance de la commission « m'apparaît plus proche du pacte du 16 novembre (lors du Congrès à Versailles) et des propositions du président de la République que les propositions de l'Assemblée nationale », a affirmé pour sa part le président et rapporteur de la commission des lois Philippe Bas (LR).
Mais, pour le député PS Patrick Menucci, cette réécriture « est une façon pour la droite sénatoriale de viser, tout à fait anormalement, une partie de nos concitoyens qui vont se sentir stigmatisés ». Le texte doit être voté dans les mêmes termes par les deux chambres avant une éventuelle réunion du Congrès pour l'entériner.
Concernant l'article 1er du projet de révision constitutionnelle, qui vise à inscrire le régime de l'état d'urgence dans la Loi fondamentale, la commission sénatoriale a notamment précisé que les mesures sous état d'urgence devaient être « strictement adaptées, nécessaires et proportionnées », a rappelé la compétence de l’autorité judiciaire, et a réduit de quatre à trois mois le délai maximal de prorogation de l'état d'urgence par le législateur. « Les sénateurs veulent jouer pleinement leur rôle de gardiens des libertés », a dit M. Bas.
Une réforme qui pourrait s’enliser dans un bras de fer entre sénateurs et députés
Toutefois, la messe est loin d'être dite, car à droite comme à gauche, nombreux sont ceux qui sont opposés à cette réforme. « L'inscription dans la constitution de la prolongation de l'état d'urgence comme celle de la déchéance de nationalité ne sont pas des idées de gauche », souligne la présidente du groupe Communiste, républicain et citoyen, Éliane Assassi, qui a déposé une motion de rejet du texte. « Je ne veux ni hurler avec les loups, ni bêler avec les moutons », a déclaré le chef du groupe RDSE (à majorité PRG) Jacques Mézard, estimant que le projet ne constitue pas le meilleur moyen de rassembler les Français.
À droite, Claude Malhuret (Les Républicains) a déposé deux amendements de retrait sur le texte, un par article. « Il faut arrêter cette mascarade et ne pas s’embarquer dans la valse des navettes parlementaires qui ne mèneront à rien, si ce n’est à exaspérer les Français », a-t-il affirmé.
Rached Cherif